Fin de vie : un simulacre de débat ? - France Catholique
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Fin de vie : un simulacre de débat ?

Convention citoyenne, mission parlementaire… Tout l’arsenal mobilisé par le gouvernement pour réfléchir à l’évolution de la loi sur la fin de vie ressemble davantage à un jeu de dupes qu’à un processus démocratique honnête. Analyse.
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Session de la Convention citoyenne sur la fin de vie au Conseil économique, social et environnemental.

Session de la Convention citoyenne sur la fin de vie au Conseil économique, social et environnemental.

© Katrin Baumann

La cause était entendue : l’enjeu exige du temps et des débats apaisés pour faire émerger un consensus. Emmanuel Macron n’a-t-il pas attendu cinq ans avant de mettre le sujet sur la table, signe de l’importance qu’il accorde à la tenue d’un débat serein ? Aussi a-t-il annoncé, en septembre dernier, la tenue d’une « Convention citoyenne sur la fin de vie », organisée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) chargée de faire émerger « perspectives » et « consensus ».

Loin d’arriver en terrain neutre, cette Convention, créée en décembre, jette ses fondations sur un terrain labouré depuis des années, médiatiquement et politiquement, par les partisans d’un changement de la loi sur la fin de vie. Quelques mois avant, le 13 septembre 2022, le Comité national consultatif d’éthique (CNCE) s’était ainsi auto-saisi pour rendre un avis favorable à l’aide active à mourir. « Aide active à mourir. » L’expression n’est pas choisie au hasard par le CNCE, puisqu’elle élargit un débat qui semblait jusque-là limité à la question de l’euthanasie : « Cette terminologie est un piège sémantique, met en garde Tugdual Derville, porte-parole d’Alliance Vita et auteur de Docteur, ai-je le droit de vivre encore un peu ? (éd. Salvator). Elle englobe à la fois l’euthanasie – administration par un tiers d’une substance létale – et le suicide assisté – auto-administration de la substance – et camoufle, par sa formulation non péjorative, le drame d’une mort violente administrée derrière un masque de bienveillance. »

Un déroulé douteux

C’est donc à la fois sur la question de l’euthanasie et du suicide assisté que les 185 citoyens tirés au sort ont été invités à débattre, avant de remettre un compte rendu final le 2 avril. Séances de travail en petits groupes, tables rondes autour de spécialistes, votes… Cette Convention, censée être un espace de débat objectif, se révèle douteuse dans l’honnêteté de son déroulé. Ainsi de la conclusion de sa première session, une table ronde intitulée « Regards internationaux sur la fin de vie ». Au micro, la présidente du comité de gouvernance chargé de la Convention, Claire Thoury, affirme qu’il s’agit d’obtenir « la présentation la plus factuelle qui soit » de ce qui se déroule au-delà des frontières. Pour cette présentation supposée éclairer les citoyens, le CESE a convié trois invités : une Belge et deux Suisses. Pourtant, le CV de ces intervenants est à des lieues de l’apparente neutralité de la table ronde : Corinne Vaysse-van Oost, médecin belge en soins palliatifs, est l’auteur de Médecin catholique, pourquoi je pratique l’euthanasie (Presses de la Renaissance, curieusement préfacé avec bienveillance par la dominicaine Véronique Margron), tandis que Claudia Magri est membre de l’association suisse Dignitas qui propose le suicide assisté. Le troisième témoin, Irène Ta, elle aussi membre de Dignitas, est « accompagnatrice », c’est-à-dire chargée d’aider le malade à se suicider.

Un président juge et partie

Cet exemple parmi d’autres – la bibliographie mise à disposition des citoyens, largement en faveur de l’euthanasie et du suicide assisté, est dénoncée par les opposants à un changement de la loi – interroge sur la volonté du CESE à fournir aux participants « une information éclairée », comme l’indique le site Internet de la Convention. Des soupçons qui s’alourdissent quand l’on sait que le président du CESE, Thierry Beaudet, nommé en 2021, avait signé, un an plus tôt, une tribune dans le JDD intitulée « L’aide active à mourir, un débat nécessaire », en faveur d’une évolution de la loi.

La composition de la Convention fait aussi grincer des dents au sein même de l’assemblée. « Plusieurs citoyens ont dit faire partie de l’Association au droit à mourir dans la dignité » s’étonne Micha, l’un des « conventionnels ». Et pour cause : l’assemblée est censée avoir été tirée au sort, de façon à proposer un
panel représentatif des 67 millions de Français. La probabilité pour que plusieurs soient membres de l’ADMD est infinitésimale, pour ne pas dire impossible. D’autant que l’association n’est pas n’importe laquelle. Fondée en 1980 par Pierre Simon, médecin et ancien grand-maître de la Grande Loge de France, également fondateur du Planning familial, longtemps présidée par le parlementaire et éminent maçon du Grand Orient de France Henri Caillavet, l’ADMD est le fer de lance militant en faveur d’un changement de loi sur la fin de vie (lire encadré page 12).

La publication d’un vote intermédiaire, le 19 février, a donné les grandes orientations de la Convention : sur 167 votants présents, 72 % se sont dits en faveur du suicide assisté et 66 % pour l’euthanasie. Mais, parmi les citoyens opposés à une révision de la loi, on s’étonne d’avoir eu à voter sur des questions aussi larges alors que les discussions sur les modalités d’application de ces éventuelles évolutions de la loi ne sont pas terminées. Aussi, certains craignent que cette Convention ne soit qu’une simple caution morale pour un projet décidé d’avance. « Beaucoup de citoyens partagent cet avis, mais il ne faut pas trop insister, au risque de se faire accuser de complotisme », soupire Micha. L’intervention d’Élisabeth Borne le 9 décembre 2022, pour le lancement de la Convention citoyenne avait mis les pendules à l’heure : « Il n’est pas question de se substituer au débat démocratique, ni à la Représentation nationale. Votre rôle n’est pas de légiférer. […] Votre rôle est de faire entendre vos expériences et vos sensibilités, vos vécus et vos points de vue. » Le vrai combat pour l’euthanasie se joue donc au niveau parlementaire. Mais, là aussi, il apparaît entièrement entre les mains des partisans d’une révision de la loi, parmi lesquels Olivier Falorni, député (MoDem) de Charente-Maritime, tout à la fois juge et partie.

Un débat politique verrouillé

En effet, côté pile, Olivier Falorni est président de la mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie, chargé de rendre ses conclusions dans les prochains mois en vue d’une éventuelle évolution de la loi en faveur de l’euthanasie et du suicide assisté. Côté face, il est un farouche militant de l’évolution du cadre législatif.

Compagnon de route de l’ADMD, membre de son comité d’honneur, il avait porté en 2021 une proposition de loi visant à ouvrir « l’assistance médicalisée active à mourir », qui avait rencontré l’enthousiasme des députés – l’article 1er avait été voté à 240 voix contre 48 –, mais qui s’était heurté à plus de 2500 amendements, notamment déposés par des députés LR. « Vous avez déjà perdu », avait-il alors lancé à ses opposants, évoquant le vote comme un événement majeur « sur le chemin de la conquête de notre ultime liberté ».
Depuis janvier, l’influence d’Olivier Falorni ne se limite pas à la mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti, mais s’étend désormais au groupe d’études sur la fin de vie, dont il a pris la présidence en janvier. Il succède ainsi à l’ancien député – et ami – Jean-Louis Touraine, lui aussi fervent partisan d’une évolution de la loi. Ce dernier ne se cache pas d’être intervenu auprès de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, pour faire renaître ce groupe d’études. Un règne sans partage pour celui chargé de préparer le terrain à une nouvelle loi.

Les soignants oubliés

Face à un tel arsenal, les opposants à une évolution de la loi se sentent pour le moins démunis. « Cette loi sur la fin de vie qui se dessine est une variable d’ajustement politique, déplore Tugdual Derville. Si la réforme des retraites est “de droite”, celle sur la fin de vie est “de gauche”. À la fin, ceux qui payent sont les plus pauvres et les plus isolés : ce sont eux les premières victimes de l’euthanasie. » Ces derniers jours, la Convention a pu donner l’impression de nuancer son approche jusqu’au-boutiste : après avoir voté, le 5 mars, une proposition visant à développer les soins palliatifs « quoi qu’il en coûte », Claire Thoury a annoncé qu’elle rendrait son document le 2 avril, plutôt que le 19 mars comme il était prévu. Pour faire taire d’éventuelles critiques ? Cet appui de la Convention aux soins palliatifs, longtemps absents des débats, ne doit pas faire oublier son soutien massif à l’euthanasie et au suicide assisté.

Ainsi, sous des apparences démocratiques, le débat sur la fin de vie semble cousu de fil blanc : le 2 mars, Olivier Véran a confirmé que les débats aboutiraient « vraisemblablement » à une nouvelle loi sur la « légalisation de l’aide active à mourir sous la forme d’euthanasie, suicide assisté ». Une mobilisation des médecins et des soignants, premiers concernés mais largement exclus du processus , pourrait-elle changer la donne ? Huit cent mille d’entre eux ont signé le 16 février une tribune dans Le Figaro pour s’opposer à l’euthanasie. Quoi qu’il arrive, les prochains mois seront déterminants face à une loi qui s’apparente non pas tant à une simple évolution du cadre légal, mais bien à un changement de civilisation.