Du scandale qui éclabousse la vie parisienne, politique, universitaire, mondaine, je n’ai guère envie de parler. Je laisse cette tâche à mes collègues, en premier lieu à Ariane Chemin du Monde qui en a fait la première le récit à partir du livre témoignage de Camille Kouchner. L’auteur énonce comment son frère jumeau a été victime d’une entreprise incestueuse et pourquoi il s’agit d’un drame qui se prolonge une vie durant. Bien sûr, le nom du prédateur est lancé dans l’espace public, et puisqu’il s’agit d’une personnalité de premier plan, le retentissement est considérable. Comment, dans ces conditions, échapper à la tentation du lynchage ? Question délicate, à laquelle je n’ai, à vrai dire, pas de réponse qui me satisfasse. Sortir le drame du silence, c’est en partie conjurer le caractère caché de l’inceste, mais ce peut être aussi provoquer ce qu’on appelle un effet de meute dont les motifs ne sont pas forcément innocents.
Peut-on parler de catharsis, c’est à dire d’une sorte d’opération de purification à l’échelle sociale ? En ce sens, les médias joueraient un peu le rôle de la tragédie grecque, mais à ceci près que ses personnages ne sont pas des figures incarnées par des figurants, mais des personnalités bien réelles qui acquièrent du coup une dimension gigantesque. Hors du contexte mythologique, symbolique et rituel, la catharsis risque de déraper. Peut-être à la manière de certaines scènes cruelles, analogues au phénomène de la Révolution culturelle en Chine. Sans doute est-ce à la justice qu’il revient de canaliser la violence des réactions publiques. Mais quand les faits sont prescrits ? Bernanos dirait qu’ils faut s’en remettre à la douce pitié de Dieu. Encore faut-il croire à cette pitié.