Dimanche, à quelques jours de son centième anniversaire, Elio Toaff, l’ancien Grand Rabbin de Rome, est décédé. Grand promoteur du dialogue judéo-catholique et ami de Jean-Paul II, le rabbin Toaff a été témoin d’une époque où catholiques et juifs – dont l’origine spirituelle commune remonte à Abraham et qui partagent l’Ancien Testament, encore que souvent séparés par l’Histoire – ont spectaculairement abandonné leurs vieux préjugés.
Bien que le christianisme soit issu du judaïsme, les relations entre les chrétiens et les juifs ont souvent été douloureuses. En 1215, le quatrième concile de Latran a décrété que les juifs porteraient des vêtements spéciaux pour les distinguer des chrétiens. En 1555, le pape Paul IV a créé un ghetto juif à Rome, le dernier ghetto juif européen lors de son abolition en 1888. Beaucoup de chrétiens ont accusé les juifs d’avoir tué le Christ, et les représentations de la Passion du Christ, jouées le Vendredi Saint, ont plus d’une fois induit des violences anti-juives à travers l’Europe.
Pourtant les relations entre juifs et chrétiens n’ont pas toujours été empreintes d’hostilité. Au Moyen-Age, les juifs ont souvent été protégés, notamment par des personnages tels Bernard de Clairvaux (ce qui explique pourquoi de nombreux juifs se prénomment encore aujourd’hui Bernard) et le pape Innocent IV. La cour papale employait des médecins juifs, et dès le septième siècle, le pape Grégoire I exhortait à la tolérance à l’égard des juifs. Néanmoins, la défiance a isolé les juifs des chrétiens durant des siècles.
Durant le vingtième siècle, les choses ont changé radicalement en bien. De nos jours, des prières œcuméniques rassemblant juifs et chrétiens sont des traits récurrents de la vie religieuse partout dans le monde. Actuellement, le principal nid catholique de sentiments anti-juifs est la fraternité Saint Pierre, un groupe schismatique. En attendant, des déclarations telles que celle, scandaleuse, du cardinal Oscar Rodriguez Maradiaga, prétendant que les médias contrôlés par les juifs utilisent des récits de débordements sexuels de prêtres catholiques pour détourner l’attention du conflit arabo-israelien sont l’exception, non la norme des relations entre catholiques et juifs.
Cette transformation a été rendue possible grâce à la bonne volonté de gens tels Elio Toaff.
Né en Toscane en 1915, fils de rabbin, Toaff a passé la Deuxième Guerre Mondiale à se battre au sein de la résistance anti-fasciste italienne. Il a été témoin du massacre par les nazis de plus de 500 civils à Sainte Anne de Stazzema, en Toscane. Dans son dernier interview publié, Toaff a déclaré au site internet judéo-italien Moked qu’il a expérimenté l’hostilité en vivant dans l’Italie de Mussolini, le plus proche allié du Troisième Reich. La seule raison pour laquelle il n’a pas quitté l’Europe est qu’il ne voulait pas abandonner sa communauté face au péril.
Néanmoins, Toaff était capable d’apprécier l’aide significative apportée aux juifs par un certain nombre de catholiques, malgré les préjugés d’avant Vatican II. Bien qu’il soit devenu de bon ton de parler du pape Pie XII comme d’un « pape silencieux », Pie XII a régulièrement condamné le nazisme sur Radio Vatican et appelé les couvents italiens à protéger les enfants juifs, cachant lui-même de nombreux juifs à Castel Gandolfo et au Vatican.
Ayant vu l’aide apportée aux juifs par les catholiques italiens et par le Vatican, Toaff – devenu le Grand Rabbin de Rome en 1951 – a fait cette remarque lors de la mort de Pie XII : « les juifs se souviendront toujours de ce que l’Église Catholique a fait pour eux durant la Deuxième Guerre Mondiale sur l’ordre du pape. Alors que la guerre faisait rage, Pie XII a souvent dénoncé la fausseté de la théorie raciale. »
Peu après, des changements majeurs sont intervenus. Saint Jean-Paul II a retiré la prière « pour la conversion des juifs perfides » de la liturgie du Vendredi-Saint, et en 1965 l’Église a promulgué Nostra Aetate, qui déclarait que les juifs en tant que peuple n’étaient pas coupables du meurtre du Christ.
La réconciliation entre catholiques et juifs s’est accélérée après l’élection de Saint Jean-Paul II en 1978. Il avait déjà de nombreux amis juifs dans sa Pologne natale. Le plus proche d’entre eux, Jerzy Kluger, a combattu au sein de l’armée polonaise quand elle aidait à libérer l’Italie des nazis. Kluger est resté en Italie jusqu’à sa mort, établissant ultérieurement une interface entre le pape et le monde juif.
En attendant, quand le gouvernement communiste polonais a engagé une campagne anti-sémite en mars 1968 et a forcé de nombreux juifs polonais à émigrer, le cardinal Karol Wojtyla a visité une synagogue à Cracovie et exprimé sa solidarité avec les juifs polonais.
Providentiellement, le rabbin Toaff dirigeait la communauté juive de Rome à cette époque. En 1986, Jean-Paul II a rendu une visite officielle à la Grande Synagogue de Rome, devenant le premier pape depuis Saint Pierre à visiter un édifice religieux juif. Les deux hommes se sont salués et ont prié ensemble. La photo du pape polonais et du rabbin italien s’embrassant et souriant est devenu l’une des images les plus emblématiques du pontificat de Jean-Paul II. Toaff était l’initiateur de cet événement historique, ayant lui-même invité Jean-Paul II à visiter la Grande Synagogue. C’est à cette occasion que le pape a déclaré pour la première fois que les juifs étaient « nos frères aînés dans la foi », une phrase empruntée à Adam Mickiewicz, le poète national polonais philo-sémite.
Les deux hommes sont instantanément devenus amis. Plus tard la même année, Jean-Paul II a invité Toaff à prier avec lui et avec les responsables de plusieurs religions mondiales lors du jour mondial œcuménique de prière pour la paix, à Assise. En 1994, Toaff et Jean-Paul II on présidé conjointement un concert au Vatican pour commémorer les victimes de la Shoah. En attendant, Toaff a aidé Jean-Paul II à organiser sa visite en Terre Sainte en 2000. Toaff était l’une des deux personnes mentionnées dans le testament du pape, l’autre étant son secrétaire, l’archevêque et maintenant cardinal Stanislaw Dziwisz.
Ayant été témoin du fascisme, de l’occupation nazie de l’Italie, de l’anti-sémitisme et de la renaissance de la communauté juive de Rome, le rabbin Elio Toaff était un témoin privilégié de l’histoire juive de son pays. Mais par-dessus tout, il avait un cœur ouvert au dialogue et à la réconciliation. Ses gestes envers les catholiques et son amitié avec Saint Jean-Paul II ont joué un rôle crucial dans le véritable miracle qu’a été le changement radical du règne de la défiance mutuelle à celui où les juifs sont de nouveau nos « frères aînés ». Alav Hashalom. Paix sur lui.
Illustration : le rabbin Toaff accueille Jean-Paul II à la Grande Synagogue de Rome le 13 avril 1986.
source : http://www.thecatholicthing.org/2015/04/22/a-great-rabbi-passes/