Après la dernière défaite des Catholiques dans la guerre culturelle en Amérique, [NDT : le ”mariage pour tous” légalisé au niveau fédéral.] je me suis demandé comment nous nous sommes mis dans ce pétrin, ce qui a renversé le courant contre nous. Pour saisir le problème j’ai relu un livre que j’avais découvert voici quarante ans, Understanding Europe (Comprendre l’Europe) écrit en 1952 par l’historien britannique catholique réputé Christopher Dawson (1889 – 1970). Je m’en félicite, car cette œuvre — qui aurait dû avoir pour titre Comprendre l’Occident — explique pourquoi notre héritage chrétien avait déjà été éliminé du domaine public il y a plus d’un demi-siècle, et même davantage.
Selon Dawson, l’élément formateur de l’Occident avait été la Chrétienté. « Elle a transformé l’Europe, hinterland barbare, en un centre mondial de culture. », et donna naissance aux états-cités et à l’émergence de nouvelles littératures et philosophies, « ainsi qu’à de nouvelles institutions sociales, culturelles, religieuses : les ordres de chevalerie, les parlements, les ordres religieux, les universités. »
Après la destruction de l’unité théocratique du Christianisme médiéval, l’unité de la culture européenne survécut, selon Dawson, « grâce à l’influence de la nouvelle culture humaniste s’étendant d’Italie au reste de l’Europe fin du Xv ème, XVI ème siècle, qui créa des liens intellectuels et artistiques entre les deux parties du Christianisme divisé et entre les états et nations d’Europe. ».
Cependant les “Lumières“ au XVIII ème siècle, culminant avec la Révolution Française, « balayèrent les vénérables reliques du Christianisme médiéval » et brisèrent l’unité culturelle. Ce mouvement séculier « qui niait les vérités éternelles de la Chrétienté et la valeur morale de l’humanisme » ouvraient « la trappe vers l’abîme et déchaînaient… les forces obscures maîtrisées par mille ans de culture chrétienne. »
Après la seconde guerre mondiale, Dawson décela une nouvelle génération de néo-païens à la tête d’une « révolte contre l’évolution morale de la culture occidentale et l’abaissement de la conscience individuelle de sa position dominante au cœur de l’évolution culturelle. »
Dawson prévoyait que le culte de l’État deviendrait la religion du monde contemporain et qu’un État hiérarchisé et bureaucratique « dominerait de loin l’ensemble des citoyens. » Et qu’un état tout-puissant retirerait aux citoyens les droits et libertés fondamentaux accordés par Dieu.
Les systèmes d’enseignement aux États-Unis et en Europe transmettaient « un ensemble de croyances communes et de standards moraux », et Dawson avertissait de leur écrasement par les états séculiers. Les valeurs communes — le ciment unificateur — portées par l’instruction classique, seraient remplacées par une formation plus technique enseignant aux masses que le principe de base pour la vie en société est la relativité de la vérité. L’instruction ne serait plus « l’invitation faite aux jeunes d’acquérir l’héritage social et spirituel de la communauté. »:
Au sujet des États-Unis, Dawson observait que « naguère la société Américaine tenait sa force spirituelle de l’idéalisme religieux propre aux Églises Protestantes, et ses principes de l’idéologie du dix-huitième siècle sur les ”Droits Naturels et les Lumières rationnelles”. Mais de nos jours ces deux forces ont perdu leur pouvoir. En Amérique la religion a perdu sa foi en le surnaturel, et la philosophie ses certitudes rationnelles. » Liée à l’expansion du matérialisme « cette situation a été accompagnée par la négligence et la perte des ressources dont dépend la force intrinsèque d’une civilisation. »
Et il ajoute : « si nous laissons les orientations du monde moderne passer des mains des serviteurs de la culture aux mains des serviteurs du pouvoir, nous porterons une plus lourde responsabilité que les hommes politiques dans l’effondrement de la civilisation occidentale. »
Hélas, au cours de ce dernier demi-siècle, de nombreux ”Guides de Culture” — Catholiques, Protestants, Juifs — ont déserté dans les guerres de culture et laissé faire les forces séculières, sans critique ni contrôle.
La bataille du ”Mariage pour tous” est un exemple typique de reddition en rase campagne des responsables religieux et culturels. À New York, par exemple, je n’ai guère entendu les évêques catholiques à l’occasion des débats législatifs de l’État de New York. Ils n’ont pas appelé les laïcs à faire pression sur leurs élus pour qu’ils votent NON. Il n’y eut pas de vigoureuses lettres pastorales lues en chaire, pas de conférences de presse, pas de marche de protestation.
Et après la sentence rendue voici quelques jours par la Cour Suprême, un partisan, le Gouverneur Andrew Cuomo, baptisé catholique, l’a violemment notifié à son Église. Fin juin il a sollicité et obtenu des autorités législatives l’autorisation de célébrer des mariages civils, afin d’unir un couple de même sexe le dimanche 28 juin à l’occasion de la ”Gay Pride”.
Pour rétablir la culture chrétienne, Dawson appelait les Chrétiens à se redresser et à briser le carcan séculier de l’Instruction. L’enseignement dispensé à nos jeunes est crucial, soutenait-il, car « c’est le moyen de montrer le chemin de la vie aux nouveaux membres d’une communauté, allant des plus simples principes de comportement à la plus haute tradition de sagesse spirituelle. »
Objectif ambitieux, surtout depuis que des jeunes évêques ”libéraux post-Vatican II” ont contribué à la destruction de la culture catholique en interprétant l’aggiornamento de Jean XXIII comme un appel à démanteler le fondement social même de l’Église en Amérique.
L’Église Catholique US a actuellement perdu près de trois générations de fidèles partis vers les utilitatistes séculiers — ce qui rend encore plus difficile l’appel de Dawson à la mobilisation.
Néanmoins, aussi grave que ce soit, Dawson insistait sur la mission des Catholiques : entretenir et préserver la tradition de culture sacrée. Dawson concluait : « aussi sécularisée que puisse devenir notre civilisation moderne, cette tradition sacrée reste telle un fleuve eu milieu du désert, et une authentique formation religieuse peut toujours irriguer les terres asséchées et changer la face du monde avec la promesse d’une vie nouvelle »
Il a raison. Et nous ne devrions pas accepter la récente défaite — aussi lourde soit-elle — nous décourager de notre fier combat pour nos foyers, nos écoles, nos églises. En public.
11 juillet 2015.
Spirce : http://www.thecatholicthing.org/2015/07/11/christopher-dawson-on-our-cultural-mess/
Photo : Christopher Dawson on Our Cultural Mess