8 OCTOBRE
La campagne présidentielle américaine a-t-elle jamais eu un tel pouvoir de fascination ? J’interroge mes souvenirs… Décidément, le duel Obama-McCain a quelque chose d’unique qui remue autant les États-Unis que le monde entier. Deux raisons à cela. La situation critique qui est la nôtre et le destin exceptionnel du candidat démocrate. Le sénateur McCain n’est sûrement pas une personnalité médiocre, mais tout se passe comme s’il jouait un rôle de faire-valoir pour son concurrent, sorte de prédestiné de l’Histoire.
Car le destin de Barack Obama est inscrit dans l’Histoire des États-Unis, il est dans sa logique, en dépit de ce qu’a de bouleversante la perspective d’un « Noir » à la Maison-Blanche. Depuis les origines, les États-Unis sont marqués par la présence d’une population noire qui n’a cessé de se rappeler à leur conscience, inexpulsable, inexpugnable, ancrée au plus profond de son destin au point qu’elle peuple son imaginaire, s’identifie avec sa marche à travers le temps : la traite, la guerre de Sécession, l’assassinat d’Abraham Lincoln, l’abolition de l’esclavage, mais les lois de discrimination, la lutte pour les droits civiques, l’assassinat de Martin Luther-King, l’égalité des droits, la discrimination positive… C’est le destin d’Obama qui se dessine depuis toujours et qui aboutit à cette consécration, fruit de la contradiction, de la douleur, des affrontements de la haine et de la fierté, de la crispation et de la générosité.
J’ai voulu relire les pages que Tocqueville avait consacrées à cette question noire, dans le premier tome de la Démocratie en amérique. J’ai été impressionné par son extrême pessimisme. Il ne voit pas de solution possible et évoque même l’éventualité d’une disparition des Noirs du Sud des États-Unis alors que les blancs disparaîtraient des Antilles. Ce qui motive le plus ce pessimisme, c’est l’incapacité des Noirs et des Blancs à se mélanger. Sans doute prévoit-il que l’esclavage disparaîtra, « attaqué par le christianisme comme injuste, par l’économie politique comme funeste », de plus incompatible avec « la liberté démocratique et les Lumière ». Mais il ne perçoit que le malheur au bout du compte. « Si on refuse la liberté aux Nègres du Sud, ils finiront par la saisir violemment eux-mêmes. Si on la leur accorde, ils ne tarderont pas à en abuser. » Abuser, en quel sens, de quelle façon ? Nous restons dans le doute.
Ce doute n’est-il pas dissipé aujourd’hui par le phénomène Obama ? Je le crois pour plusieurs raisons. Tout d’abord, si le candidat démocrate devient président des États-Unis, c’est qu’il aura été élu par un collège multiracial, les Blancs ayant perdu leurs réticences à l’égard sinon des fils d’esclaves (ce que n’est pas Obama), du moins à l’égard de la couleur de peau. En second lieu, un des aspects les plus remarquables du candidat, c’est la façon dont il a lui-même traité de la question raciale dans une intervention de très haute tenue intellectuelle et morale. Je regrette de ne pas l’avoir conservée, telle qu’elle avait été traduite dans Le Monde. Elle indiquait une sortie par le haut d’un drame multiséculaire, signifiant le dépassement du racisme, mais aussi de l’antiracisme, dans les termes analysés par Pierre-André Taguieff comme relevant d’une ambiguïté dangereuse.
Cependant, il serait gravement fautif de n’en rester qu’à la seule personnalité d’Obama et à son probable succès. Car si nous n’en sommes plus aux discriminations d’il y a un demi-siècle, si d’énormes efforts ont été produits, ne serait-ce que par le biais scolaire et universitaire, il s’en faut de beaucoup que les Noirs américains vivent globalement dans les mêmes conditions que leurs compatriotes blancs. Ils sont beaucoup plus pauvres, beaucoup moins nombreux dans les classes aisées. Le plus accablant est la présence massive de jeunes Noirs dans les prisons américaines, proportionnellement beaucoup plus peuplées que chez nous.