Récemment, dans ces colonnes, a été publié un excellent essai de David Warren, toujours agréable à lire. Il se basait sur un point soulevé par le cardinal Robert Sarah dans son fascinant nouveau livre « Le pouvoir du Silence », et le développait : « nous devons être Marie avant de jouer le rôle de Marthe ». Voilà une direction spirituelle très nécessaire pour notre monde moderne, assailli qu’il est par les outils favoris du démon que sont les distractions, le bruit et le chaos.
Je ne suis absolument pas contre le principe qui est qu’une vraie relation au Christ – une relation qui ne peut être assurée que dans le silence de la prière – est une condition nécessaire pour vivre une vie active féconde en accord avec le plan de Dieu sur notre salut.
Et pourtant, il semble que chaque fois qu’une discussion s’élève au sujet de l’histoire de Marthe et Marie, Marthe, de mon point de vue, a mauvaise presse. Il y a quelques années, est sorti un livre écrit par Joanna Weaver, dont le titre était Avoir le cœur de Marie dans un monde de Marthe. J’ai trouvé la deuxième partie du titre un peu déconcertante. Un monde de « Marthe » ? Ma première pensée a été « est-ce que nous ne devrions pas nous souvenir que Marthe est une Sainte ? » Et le monde, en particulier notre monde moderne, peut-il vraiment se voir attribuer le nom d’une sainte ?
Il y a souvent là un certain réductionnisme. Nous avons lu l’histoire de Marthe et Marie et assimilé Marthe au monde, et Marie au spirituel .Bien que ce soit une erreur, on peut comprendre qu’un certain nombre d’entre nous puisse avoir tendance à réduire à ce seul fait sa connaissance , et par là même sa relation à Marthe.
C’est comme si la seule chose que nous sachions à propos de Saint Pierre était son triple reniement du Christ le vendredi saint, et que nous ignorions sa proclamation de Jésus comme Fils de Dieu, les vingt-cinq ans passés en tant que premier pape de l’histoire, et son crucifiement – la tête en bas.
Beaucoup de gens connaissent la Marthe de Luc X, moins nombreux sont ceux qui ont pris connaissance de la Marthe de Jean XI car il est évident, que ce soit dans ses paroles ou dans ses actes dans l’Evangile de Jean, qu’elle avait pris à cœur la remarque de Jésus dans Luc X : c’était sa sœur Marie qui « avait choisi la meilleurs part ».
Souvenez-vous, la Marthe de Luc X venait seulement de rencontrer Jésus. En fait, Luc dit très clairement que c’est Marthe qui a ouvert la première sa maison à Jésus. Mais à l’époque des évènements racontés dans l’évangile de Jean, Marie, Marthe et Lazare sont devenus de chers amis de Jésus.
Pour présenter la scène, Lazare est tombé très malade. Marthe et Marie ont envoyé un message à Jésus lui demandant de venir. Jésus, intentionnellement, attend deux jours avant de se mettre en route. En entendant que Jésus arrive, Marthe, la femme d’action sans détours que nous a présentée Luc, va au-devant de Lui, alors que Marie, et c’est intéressant, reste à la maison.
Mais ce sont les premières paroles de Marthe, si conformes à ce qu’elle est dans leur franc parler, qui proclament la foi qui a rempli et captivé son âme depuis notre première rencontre avec elle dans saint Luc. Elle déclare carrément, avec peut-être une nuance de reproche de sa part, « Seigneur…si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. Mais je sais que même maintenant, Dieu te donnera ce que tu lui demandes. »
Il est certain qu’une telle foi ne peut résulter que du fait que Marthe est « devenue comme Marie » tout en demeurant Marthe dans sa quintessence.
Il est intéressant de remarquer que la brusque remarque de Marthe concerne un point relevé à la fois par le Cardinal Sarah et par David Warren sur le mystère de la souffrance. Comme le note Warren de façon succincte :
Pourquoi Dieu demeure-t-il silencieux en présence de la misère et du mal ; pourquoi permet-Il l’horreur et la souffrance qui tombe sur les justes et sur les injustes ? S’Il existe, pourquoi ne fait-Il rien pour y remédier ? Voilà, à mon avis, la « question-Marthe » essentielle au sujet de la souffrance, qui a grandi jusqu’à comprendre toute la condition humaine.
Dans l’Evangile de Jean, Marthe a fait avancer la « question-Marthe » à propos de la souffrance. Elle est passée d’une simple question sur la raison pour laquelle un grand maître permet à sa sœur de la laisser faire la cuisine, à la question posée par les grands saints et les pères de l’Eglise au sujet de l’existence même de la souffrance.
Et elle va trouver la réponse à cette question, comme c’est le cas de tous les saints, « dans le silence, à genoux devant un crucifix ». Marthe aura en plus le privilège de le trouver littéralement au pied de la croix.
Il est beau de contempler les différentes approches de Jésus avec chacune des deux saintes femmes. Avec Marthe, il en appelle à son intelligence, et lui demande si elle croit en la Résurrection. Elle répond d’une manière très similaire à celle de Pierre : « Oui Seigneur…je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui devait venir en ce monde » (v. 27)
Avec Marie, Il prend une approche différente. Marie déclare comme Marthe, que si Jésus avait été là, son frère ne serait pas mort. Mais Jésus lui répond d’une manière totalement différente – Il pleure.
Voilà, poussé à l’extrême, le mystère de l’Incarnation. Jésus est Dieu (Marthe), et Jésus s’est fait homme et est entré dans notre souffrance (Marie).
Aujourd’hui, nous célébrons la fête de Sainte Marthe. Personnellement, je vais faire une activité banale, du genre : tondre la pelouse ou faire la cuisine, et je l’offrirai en prière à Sainte Marthe pour qu’elle intercède pour que moi aussi je puisse arriver à connaître et à aimer le Christ aussi profondément que ses paroles – et ses actes – en donnent témoignage dans Jean XI.
29 Juillet 2017
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/07/29/a-word-in-defense-of-martha/