Comment définiriez-vous l’Académie Catholique de France ? Quels grands travaux envisagez-vous en 2020 ?
Cette institution, née en 2008, s’efforce de rendre visible la vitalité tant intellectuelle qu’artistique attachée en France à la grande tradition catholique ; elle est non moins soucieuse d’une relation fraternelle avec toutes les familles de pensée. Elle réunit 100 membres élus par leurs pairs, 130 sociétaires individuels, 22 membres institutionnels et 2 collèges régionaux.
Elle vient de publier son 22e ouvrage et d’enregistrer sa 260e émission de télévision. Nous relevons une effervescence inédite qui traverse notamment ses six sections disciplinaires (Sciences Physiques et biologiques et technologiques ; sciences humaines et sociales ; Philosophie et théologie ; Art et lettres ; Droit et économie ; Politique, défense, diplomatie) et qui se traduit par des protocoles de recherche sur la question du Vivant, sur la relation entre philosophie et spiritualité, sur les figures de Marie Noël, poète et mystique, de Maurice Blondel, philosophe catholique, sur l’universalité du droit, sur le droit dans les entreprises, sur les relations entre l’Église et le personnel politique et sur la question de l’Europe des civilisations. Je mentionnerai également le Symposium sur le « Temps pastoral » qui se tiendra le 17 juin prochain à Paris en partenariat avec la Conférence des évêques de France. Il s’agit d’un événement très attendu, suggéré par Mgr Luc Ravel, qui devrait permettre de réexaminer les manières dont l’Église déploie son action dans la Cité à travers ses structures existantes, en confrontation avec la question de la temporalité et non point d’abord sous le mode d’occupation de l’espace.
« L’histoire de mon pays a été faite par des gens qui croyaient à la vocation surnaturelle de la France (…) » (Georges Bernanos dans Le Scandale de la Vérité). Dans un monde où la science, le matérialisme, l’envie et l’argent colonisent les pensées, la formule « France, fille aînée de l’Église » semble devenue une expression muséale. Comment l’en faire sortir ?
Le Français est fasciné sans doute que plus que la moyenne par l’absolu et cette fascination doit beaucoup au christianisme. Mais lorsque le christianisme s’efface quelque peu, il laisse derrière lui la marque d’une fascination qui a changé d’objet : la révolution radicale et le progrès nécessaire. L’histoire de France, dès avant la période médiévale, est indissociable d’une mystique la plaçant sur un horizon d’universalité. Cet horizon s’est dessiné au croisement du grec, de l’hébreu et du romain mais c’est le catholicisme qui a historiquement noué cette alliance au titre de la sagesse et du prophétisme christiques qui le constituaient. Ce n’est pas à dire que la France serait en concurrence de messianisme avec l’Église qui a, elle aussi, un rôle d’universalité dans l’impératif d’évangélisation. Aussi, pour le dire d’un mot, l’inspiration première qui lui vient du Christ, permet-elle à l’Église, – ce qui n’a certes pas toujours été le cas – de laisser à l’ordre politique un espace créatif qui soit conséquent avec l’espérance d’un monde renouvelé. Toutefois, même renouvelé, ce monde n’est pas et ne sera jamais l’accomplissement du Royaume de Dieu ; c’est l’inverse qui est vrai : le royaume de Dieu est l’accomplissement des germes semés dans l’histoire, auquel un pays comme la France a apporté une contribution des plus fortes pendant de nombreux siècles avec des figures comme saint Martin, saint Louis, sainte Jeanne d’Arc ou les Congrégations missionnaires.
C’est pourquoi je ne suis pas sûr – alors que l’expression « fille aînée de l’Église » se trouve certes pour l’heure reléguée voire moquée – que le sort spécifique de la France puisse être dissocié du destin catholique dans l’histoire des civilisations. Point de confusion théologico-politique dans cette affirmation, au contraire : ce sort « politique » et ce destin « catholique » sont tous deux entés sur la distinction établie par Jésus, entre l’ordre de César et l’ordre de Dieu. Si l’Église est le vecteur sacramentel du salut, elle n’est cependant pas propriétaire de toutes les modalités dont dispose la Cité et qui permettent aux hommes de bonne volonté d’en réaliser les prémisses.
Le Synode sur l’Amazonie doit donner lieu à un texte post-synodal avant la fin de l’année. Celui-ci doit apporter des conclusions sur différents points tels que la possibilité pour des diacres mariés d’être ordonnés prêtres, ce qui créé une controverse réelle et non une fracture – le célibat n’étant pas un dogme — entre les tenants d’une doctrine de l’Église farouchement ancrée dans la tradition magistérielle et ceux, plus progressistes, qui souhaitent à travers ce Synode réaliser une audace et une conversion pastorale. Qu’elle est votre opinion ?
La question que vous évoquez, parce qu’elle est fondamentale, appellerait une réflexion longue. Je m’en tiendrai ici à quelques remarques. Ce synode sur l’Amazonie, quelque peu instrumentalisé, aura assurément un impact ecclésial mondial. Les types d’interrogations qui y ont été formés et surtout les orientations qui en émaneront influeront nécessairement sur les débats qui traversent déjà d’autres continents au sujet de la gouvernance de l’Église.
La question spécifique du célibat sacerdotal, curieusement saisie dans une rhétorique assez magicienne du besoin eucharistique dominical, n’est pas toujours traitée à hauteur de son enjeu missionnaire. C’est qu’il concerne, à l’inverse de ce qui s’en dit le plus souvent, la nature même de l’Église et, de façon corollaire, l’efficience de son message. À le réduire à une simple disposition disciplinaire et conjoncturelle, on en méconnaît le caractère d’exigence spirituelle, enraciné dans la figure du Christ célibataire parti « aux affaires de mon Père » et n’ayant pas « d’endroit où reposer la tête ». La date de 1139, celle du Concile de Latran, est certes liée à la décision d’obligation canonique du célibat pour tous les clercs du monde latin ; mais elle entérinait un choix antérieur et sur longue durée. Dès le premier siècle du christianisme en effet, cette recommandation a pris les traits de l’impératif et fut initiée progressivement comme l’attestent les Lettres de saint Paul, les Actes des apôtres de saint Luc, puis les conciles d’Elvire et de Carthage du IVe siècle, ainsi que les nombreuses références au radicalisme évangélique dans les siècles suivants.
Par-delà ces données historiques, cette question hypersensible est aujourd’hui posée dans un climat de confusion entre le « sacerdoce des baptisés » largement valorisé depuis le Second concile de Vatican, et le « sacerdoce ministériel ». Cette confusion tient à ce que le premier est indûment compris comme l’enveloppement du second ; dit autrement, le sacerdoce des baptisés constituerait la condition ontologique première du chrétien missionnaire, et le sacerdoce ministériel serait une simple superstructure fonctionnelle, réduite aux seuls besoins d’animation communautaire. Je dirai volontiers que cette partition aujourd’hui répandue n’est pas seulement une catastrophe, elle est suicidaire pour l’Église tout entière ; car elle interrompt la logique de l’Incarnation, à savoir l’identification dans une personne faite de chair et d’os, de l’initiative première de Dieu et de son économie propre qui a été accomplie dans son Fils, conduisant l’histoire rédemptrice jusqu’au sacrifice ultime.
Sans l’incarnation concrète, ministérielle au sens étymologique de « serviteur », de cette mémoire active, le sacerdoce des baptisés lui-même perd aussitôt de sa substance : il oublie d’où il vient et méconnaît la teneur de ce qu’il reçoit, à savoir la participation aux dons du Christ qui suscitent son élan missionnaire. La mission du Christ n’a donc pas seulement à être « partagée », comme on dit, entre évêques, prêtres, diacres et laïcs, elle doit d’abord être comme telle actualisée en chair en os en tant qu’initiative du Père accomplie par le Christ et communiquée dans la force de l’Esprit. Tel est le ministère de l’évêque, tel est le ministère du prêtre. Cela relégué, alors l’Église s’effondrerait dans un vaste mouvement de dilution associative, sans la vision mémorielle de l’initiative divine qui l’engendre à tout instant. La question du pouvoir y prendrait alors – ce qui est déjà parfois le cas – la forme d’une bataille rangée, une sorte de lutte des classes interne où le « négatif », pour parler comme Hegel, est déclaré ferment de l’histoire.
Cette confusion s’inscrit en droite ligne d’héritages contrastés de Vatican II. Deux herméneutiques symétriques de ce concile cohabitent dans un parallélisme théologique que les puissantes réflexions de Jean-Paul II et de Benoît XVI ont cherché à surmonter. L’une tend à une vision unilatéralement hiérarchique anhistorique et l’autre tend à une vision démocratique sans référence suffisante à l’immémorial mystérieux. Par ces deux herméneutiques objectivement concurrentes, c’est précisément la structure sacramentelle de la mission ecclésiale avec toutes ses implications, qui reste encore peu élucidée. Voilà pourtant une tâche décisive et exaltante, aussi bien théologiquement que pastoralement.
Certains philosophes, prêtres ou laïcs mettent en garde l’Église sur sa dérive autoréférentielle qui corrompt le message même de l’Évangile et sa joie. Henri de Lubac s’exprimait d’ailleurs à ce sujet en affirmant que c’était le pire qui puisse arriver à l’Église. L’Académie Catholique de France a-t-elle vocation à nous prémunir de ces dérélictions mortifères ?
L’Église catholique n’a jamais manqué de terrains de dérapages. Sa longue histoire lui en a même fait connaître plus qu’à d’autres. Elle fut confrontée dès les premiers siècles de son existence aux hérésies gnostiques, puis celles des ariens et des pélagiens, plus récemment aux pseudo-théologies politiques inspirées soit de Marx, soit de Maurras. Aujourd’hui, elle est infiltrée par des considérations transhumanistes, post-teilhardiennes que Teilhard de Chardin lui-même aurait stigmatisées en raison de leur immanentisme rampant, ou encore par les axiomes du New-Age syncrétiste qui dilue le divin y compris christique dans la fonction thérapeutique ou dans le champ métaphorique, sans compter les dérapages affectifs graves qu’elle connaît en partage avec d’autres institutions religieuses et profanes. Miraculeusement, l’Église s’est toujours relevée de ses épreuves historiques qui n’appartiennent pas seulement au champ théorique mais qui se sont aussi tragiquement exprimées dans des opérations destructrices de l’humain : qu’il s’agisse de compromissions politiques ou de manipulations psycho-sociales.
Ainsi peut être mesuré adéquatement le risque auto-référentiel de l’Église que vous évoquez. Ce risque n’est certes pas nouveau ; je pense notamment à Joachim de Flore (XIIe siècle) qui ne voyait le destin du monde qu’à l’aune de son Ordre religieux, troisième Royaume, ce contre quoi le Père de Lubac a écrit des pages décisives. Le Pape François n’a pas moins que ses deux prédécesseurs immédiats alerté sur les risques de l’auto-référence ecclésiale, dans sa plaidoirie désormais célèbre en faveur des périphéries ; celle-ci était réalité ancrée dans le mystère du Christ, lequel, rappelons-le, est né dans une petite ville et fut mis à mort hors de Jérusalem. L’image de l’Église Mysterium lunae, forgée au IIe siècle, aura été ainsi un contre-feu historique puissant ; elle a été naturellement reprise dans la Constitution dogmatique Lumen gentium de Vatican II évoquant dès ses toutes premières lignes « la clarté du Christ qui resplendit sur le visage de l’Église ».
Mais ce que nous disions tout à l’heure du ministère sacerdotal trouve ici sa pleine justification : car son effacement en tant qu’incarnation personnelle de l’initiative lumineuse de Dieu, renierait le mystère de la provenance ecclésiale. Permettez-moi aussi de faire observer que ce risque auto-référentiel n’est pas moins absent chez ceux qui, à l’inverse, placent l’Église, au nom de sa dimension divine, sur un plan « hors-sol » indifférent aux mouvements du monde, donc indifférent aux grandes souffrances humaines.
Quels sont selon vous les grands défis des catholiques français face à un monde qui oscille entre prédation économique et consommation effrénée, chocs civilisationnels multipolaires, mouvements migratoires irréguliers et non régulés, terrorisme, perte de sens et de la famille, individualisme outrancier ?
J’en relève quatre qui déterminent tous les autres : l’anthropologie, l’avenir de la nation, l’oligarchie financière, la communication.
L’anthropologie contemporaine est comme tétanisée. Nombre de constructions philosophiques et théologiques classiques ont été à cet égard durement éprouvées depuis quatre siècles, qu’il s’agisse de la double définition aristotélicienne de l’homme comme « animal rationnel » et comme « animal politique » ou de la caractérisation de Mircea Eliade selon laquelle L’homme est homo religiosus ; ou encore celle de Ernst Cassirer pour lequel l’homme se distingue de l’animal par la fonction symbolique. Beaucoup de déplacements, certains emblématiques, ont été commis tout au long du XXe siècle, de Husserl à Scheler et radicalement avec Heidegger dont la thèse centrale est que le sujet humain résiste à toute définition puisqu’il est coextensif au temps, toujours au-devant de lui-même. Un existentialisme chrétien comme celui de Gabriel Marcel ou la voie personnaliste d’un Emmanuel Mounier ont constitué des réponses grandioses mais sans impact culturel suffisant en dépit d’importantes médiations éditoriales. L’une des tentatives phénoménologiques contemporaines les plus remarquables à forte implication anthropologique, est celle, toute récente, de Michel Henry : avant de penser la vie et de la théoriser en biologie, disait-il, avant de penser le « monde » et de le théoriser en cosmologie, avant de penser l’homme et de le théoriser en anthropologie, il y a que je suis affecté par la vie, que je me reçois d’elle. Nous ne saurions quitter la percée de cette pensée.
J’y ajouterai un considérant universel qui, à mes yeux, fonde concrètement, et non pas abstraitement, l’anthropologie : je veux parler de la souffrance. Lorsque la vie me communique une souffrance collective sur longue durée, c’est qu’un désordre anthropologique est à l’œuvre : souffrance des femmes blessées, meurtries à vie par la violence conjugale ou les avortements répétitifs, traumatismes des enfants maltraités, marché des nouveaux esclavages. Ces situations concrètes aggravent et perturbent la condition native de fragilité humaine. C’est sur cette base qu’il convient de reposer anthropologiquement les questions de la vocation de la famille, de la bioéthique, de la fraternité citoyenne ou associative, des archaïsmes religieux et culturels, la place des rites etc.
Deuxième question centrale : l’avenir de la nation semble compromis par nombre de velléités régionales ou continentales qui tiennent à trois tendances distinctes. La première concerne l’intérêt croissant, quelque peu idéologisé, pour un retour vers les identités et les langues locales dont la psychanalyse devrait, si elle le pouvait, se préoccuper. La seconde tendance tient à la conscience partagée du faible poids des États particuliers face aux trois grandes puissances hégémoniques que sont, à des degrés divers, la Chine, l’Inde et les États-Unis. La troisième envisage la massification migratoire de manière unilatérale et irresponsable où les réflexes de générosité pour le meilleur mais aussi les stratégies anti-occidentales négligent la nécessaire et lente mise en place historique des équilibres sociaux, toujours garante de la sérénité psycho-sociale des peuples. Le débat sur le statut de la nation et son rapport fondateur au christianisme historique doit ainsi être remis au centre.
La troisième question centrale est liée à la précédente : elle concerne le montage d’oligarchies financières dont la puissance internationale dépasse déjà les moyens et les ambitions de plusieurs États. Les peuples risquent de se trouver dessaisis du tissu de leur mémoire, de leur langue, de leur culture.
Enfin quatrième défi, celui de la « communication » qui aujourd’hui échappe à tout contrôle alors même qu’interviennent dans certains pays la censure d’État et en Occident la censure du politiquement correct. L’ancienne formule de Marshall McLuan selon laquelle « Medium is message » est aujourd’hui dépassée. Désormais, nous avons franchi un nouveau seuil où le formatage lui-même tient lieu de vérité, où, pour le dire autrement, la répétition des idées fait croire à la pénétration des choses. Une information « passe » non point parce qu’elle serait fondée mais parce qu’elle est recevable. C’est pourquoi le débat public se réduit le plus souvent à une mise en scène théâtrale de postures antagonistes. On peut craindre, dans ces conditions, que le travail de régulation réalisé par un journalisme « éthique » soit de plus en plus submergé par une vague gigantesque dont l’impact actuel des réseaux sociaux donne une idée et nous alerte.
L’Église ne devrait-elle pas davantage communiquer sur l’encyclique Fides et ratio qui est une œuvre pédagogique majeure pour toutes personnes ayant des responsabilités au sein de l’Église ?
Je suis tout particulièrement sensible à cette question, ayant rencontré assez longuement au début des années 2000 dans son bureau Jean-Paul II au sujet de la réception de Fides et ratio dans les universités catholiques et organisé en 2008 à Rome, avec une conférence de son successeur Benoît XVI, le colloque du dixième anniversaire de l’encyclique.
Paradoxalement, l’inactualité médiatique de ce texte prestigieux n’empêche pas de prévoir sa fécondité pérenne. Plusieurs de ses affirmations principales devraient être méditées sans cesse non seulement par les enseignants de philosophie et de théologie, ce qui est à peu près le cas, mais aussi par tous les acteurs de la vie ecclésiale. En premier lieu, la distinction rigoureuse et le respect des ordres de rationalités, entre science, philosophie, théologie, droit et arts. En effet, la science n’a pas à imposer sa canonique aux autres savoirs et réciproquement ; ce qui n’empêche ni les unes ni les autres de s’interroger mutuellement – comme le prescrivait déjà saint John Henry Newman (XIXe siècle) – sur leurs propres présupposés méthodologiques et sur les résultats qu’elles produisent. En deuxième lieu, il convient d’honorer, en toute analyse de situations et de problèmes, le passage par la médiation philosophique … ce que parfois certains apprentis théologiens ou certains scientifiques négligent en allant directement et naïvement, au risque du concordisme, de la science à la théologie ou de la théologie à la science. Enfin, en troisième lieu, tenir conséquemment la foi chrétienne pour une instance critique à part entière, face aux savoirs qui se laissent traverser, plus qu’ils ne le reconnaissent, par de l’irrationnel – voir à cet égard les développements de ces dernières décennies en psychanalyse et dans une certaine sociologie marxiste. Une institution académique catholique ne peut qu’être implacable avec de tels impératifs ; s’ils étaient plus largement observés, ils nous feraient à tous faire un pas de côté vis-à-vis des opinions aujourd’hui régnantes, notamment en éthique et en matière de religion.
Justement, les parlementaires ont voté ces jours-ci la légalisation de la PMA pour les femmes seules et homosexuelles. L’Académie de Médecine a, quant à elle, émis des réserves au sujet de la PMA pour toutes allant jusqu’à parler à son sujet de fracture anthropologique majeure. L’homo scientificus ne voudrait-il pas réaliser sa propre genèse en réalisant un contre-ordre, contraignant ainsi l’ordre naturel ?
Le catholique, citoyen à part entière, ne saurait taire dans l’espace public ce que lui inspire la trajectoire expérimentée de ses convictions. Les questions de la PMA et de la GPA sont cependant au carrefour de toutes les hypocrisies ; politiques, philosophiques et scientifiques. Le politique, quel qu’il soit, est souvent pris dans les rets des puissants lobbies qu’il doit satisfaire en retour d’avantages électoraux ; le philosophique des places publiques est enfermé dans les résidus de la mythologie du progrès et jette ses adversaires dans le fossé des obscurités archaïques ; quant au scientifique, sauf en de rares cas, il hésite à avouer son incapacité pourtant foncière à se prononcer sur ce qu’il en est du Vivant, de son origine et de son mystère ; il se trouve alors prisonnier de la double demande politique et pseudo-philosophique que je viens de relever.
Dans cette situation où, face au bon sens, s’invitent nombre de faussaires, il convient de réfléchir sur trois plans distincts : – « scientifique » où la science comme telle ne peut que reconnaître sa modestie voire son incompétence éthique ; – « philosophico-phénoménologique » afin de mettre en relief tous les présupposés théoriques à l’œuvre en sous-main ; et enfin sur le plan « théologique » en attestant de la constitution sapientielle de la foi chrétienne. C’est ce à quoi, en communion ecclésiale et avec d’autres, l’Académie catholique de France s’est pour sa part employée ces dernières années à travers les cinq déclarations de bioéthique qu’elle a rédigées, dont celle du mois de novembre 2019 intitulée « Quand le vivant devient la vie ».
S’il fallait me résumer, je dirais que l’anthropologie idéologique qui a pris aujourd’hui le pouvoir médiatique dans un vide métaphysique abyssal, repose sur une contradiction fondamentale rarement relevée : d’un côté, elle déclare suivre les indications de la nature en matière climatique et cosmologique ; d’un autre côté, elle a décidé arbitrairement et autoritairement de renoncer aux indications que celle-ci fournit en matière biologique. D’où les fameuses « Studies gender » anglo-saxonnes faisant comme si la liberté de choix humaine pouvait se délier de ses déterminations gracieusement offertes par la Création. Subrepticement, nombre de forces en présence sont ainsi en train de promouvoir un monde dés-allié. J’aimerais, dans ce contexte, pouvoir donner crédit au mot de Hölderlin : « Là où il y a le péril, croît aussi ce qui sauve ». Mais le salut réside essentiellement dans l’alliance divino-humaine. Là est la grande Histoire, aussi fragile que prometteuse.