Hérode entendit parler du Christ enfant, et il en fut troublé ainsi que tous ses conseillers. Il donna instruction aux mages de trouver le petit garçon et de lui rapporter de ses nouvelles pour que lui aussi puisse aller l’adorer. L’hommage qu’Hérode voulait rendre à l’enfant, c’était de le mettre à mort. Quand les mages, prévenus en songe, sont repartis par un autre chemin, à l’écart de Jérusalem, Hérode fit ce qu’il avait l’habitude de faire. Il élimina l’opposition – ou du moins il essaya.
Tous les tableaux de ces massacres que j’ai jamais vus, sont terribles et dramatiques. Des soldats brutaux et hyper musclés, balancent leurs épées, transperçant parfois ensemble la mère et l’enfant. Cependant, ce que je n’ai jamais vu, c’est une peinture qui pourrait mieux correspondre à notre situation actuelle.
Voilà comment je l’imagine : La chambre est calme et sombre. Ni le père ni la mère ne sont là. Ils sont peut-être au travail dans les champs. La lumière éclaire par une fenêtre le visage d’un homme, un soldat. Il fronce les sourcils. Il tient une épée à son côté. Il ne bouge pas. Sur un lit devant lui, dort un petit garçon.
Je vous demande d’imaginer ce petit garçon. Gabriel Marcel dit que la vue de n’importe quelle personne endormie nous fait approcher du mystère. Elle donne le sentiment d’une présence qui ne peut pas se réduire à un objet utilitaire. C’est particulièrement vrai de l’enfant qui dort. « Du point de vue de l’activité physique…l’enfant qui dort n’est absolument pas protégé, et semble être totalement en notre pouvoir ; De ce point de vue, nous sommes libres de faire ce que nous voulons de l’enfant. Mais du point de vue du mystère, on pourrait dire que c’est seulement parce que cet être est totalement sans défense, qu’il est totalement à notre merci. ; qu’en même temps, il est invulnérable ou sacré (extrait du « mystère de l’Etre, Présence d’un mystère » )
On peut voir la boucle de cheveux qui retombe négligemment sur sa tempe, ses yeux fermés – Que contemplent-ils ? Nous voyons ses lèvres pincées, le lent mouvement de sa respiration.
Personne, du moins s’il s’en tient sagement à l’entrepôt des choses, ne sent cette présence. Nous ne ressentons aucun mystère dans le transistor 2451, étagère 32B. Une fois qu’on a remplacé un nom par un numéro, la plus grande partie de notre travail de destruction est faite. Si nous ne voyons que des instruments, nous n’aurons aucun scrupule à les utiliser comme nous le voulons. Le trait essentiel d’une pièce d’une machine est qu’elle n’a pas d’individualité. On peut la remplacer par une autre. Elle est faite pour être interchangeable.
Mais si ce soldat s’arrête trop longtemps pour contempler ce petit garçon endormi, il lui faudra s’endurcir contre le sentiment naturel et humain de sainteté et de mystère. Pour traiter l’enfant comme un objet, il devra lui-même devenir un objet, un outil d’Hérode, une partie de la machine d’Hérode.
Pour traiter l’enfant qui dort comme un tracas dont il faut se débarrasser, il faut qu’il reconnaisse l’inutilité de toutes les petites choses ; le grain dans la terre, l’oisillon dans le nid, le battement du cœur, le soldat dans l’armée, la Judée dans l’Empire Romain, ce petit empire dans le long sillage de l’histoire du monde, ce monde, une poussière dans les cieux ?
. Il doit nier la valeur de la création elle-même.
Imaginons un autre tableau : Un enfant endormi. Il suce son pouce. Il est blotti, les genoux tout contre le menton. Son innocent derrière est clairement visible. L’image est floue, car il est enfoui dans la chair chaude du sein de sa mère. L’infirmière à la clinique voit et ne voit pas le petit garçon.
Imaginons une autre image : le garçon est plein de vie, et à moitié sauvage. Une masse de cheveux tombe sur son front. Il vient de nager dans l’étang. Il en sort, dégoulinant d’eau et riant. L’ « ami » plus âgé surveille calcule, prépare une stratégie.
Encore une autre image. Les garçons et les filles sont assis à leurs bureaux dans la salle de classe. Ils pensent à toutes sortes de choses. Un des garçons pense au jeu de ballon auquel il va jouer ce soir. Une des filles pense à la visite qu’elle va faire à sa cousine sur le chemin du retour de l’école. Deux autres filles discutent de l’endroit où elles vont apprendre à monter à cheval. Un autre garçon rêve en regardant par la fenêtre.
L’institutrice se tient devant eux, debout, Son front est soucieux. Elle fronce les sourcils. Elle tient un livre sur le côté. Quand les garçons et les filles quitteront l’école cet après-midi, ils sauront ce que c’est – combler un blanc
« Est-ce qu’il y a quelque chose qui ne va pas fiston » ? Le garçon n’a pas été lui-même ce soir. Il la regarde de façon étrange, puis s’esquive. « Non, il n’y a rien ».
Marcel dit « Il n’y a aucun doute : la marque la plus forte et la plus irréfutable de pure barbarie qu’on puisse imaginer consiste à refuser de reconnaître cette mystérieuse invulnérabilité. »
Hérode et Hérodiade se montrent sous de nombreux aspects. Ce sont des hédonistes, pour qui les enfants ne sont qu’un frein irritant à leur poursuite du plaisir. Ce sont des utilitaristes, des outils qui évaluent l’utilité d’autres outils. Ce sont des hommes d’Etat dont l’ambition n’est pas de gouverner des hommes, mais de gérer des fourmis. Ce sont des médecins et des infirmières qui ne verront pas l’enfant. Ce sont tous les assassins de l’innocence. Ils se tiennent debout comme le soldat dans l’entrebâillement de la porte de la maison.
Doux Jésus, sauve nous de nous-mêmes.
Source : http://www.thecatholicthing.org/2014/12/30/sleeping-child/
Tableau : Massacre des innocents par François-Joseph Navez (1824)