Cathos de gauche : Un diagnostic lucide à poser, une « nouvelle gauche » à fonder
Le journal La Croix a publié (le 5 avril) une page entière suite à la publication de « La Grande Peur des catholiques de France » (Éditions Grasset), dernier livre d’Henri Tincq, journaliste et essayiste, catholique progressiste et ouvertement de gauche depuis 50 ans. D’autres quotidiens comme Le Monde, Libération… s’en sont faits les échos, ont interviewé l’auteur, ont publié de larges extraits : il ressort selon nous que l’ensemble du propos d’Henri Tincq met mal à l’aise car, s’il affirme (sans doute de manière excessive) « les cathos de gauche ont disparu », il n’ouvre en rien l’indispensable chantier de réflexion sur les causes internes qui ont conduit un courant hyperdominant en France durant 50 ans à s’effondrer de la sorte.
Nous comprenons bien l’amertume et la déception de toute cette génération « catho de gauche », comme Henti Tincq la dénomme lui-même ; celle-ci a tenu le haut du pavé depuis la fin de la guerre, elle a cru à un certain « grand soir » de Vatican II et, aujourd’hui, elle se retourne pour constater que « leur Église » a disparu, alors que la mise en œuvre de Vatican II par le pape François ne fait aucun doute. Oui, le choc doit être violent : la potion doit être amère et douloureuse comme cela transparaît dans tous les propos d’Henri Tincq, qu’on pourrait sans doute résumer sans caricaturer : « Notre passé était si bien, le présent me fait peur, l’avenir je n’en parle même pas ». Pas une once de positif ou d’espérance : fermez le ban. Impressionnant. Très instructif mais triste aussi : quel gâchis se dit-on…
Au lieu de tenter après 50 ans d’engagement, de prendre du recul et de la distance, de porter un discernement lucide et évangélique * sur les raisons qui ont conduit à une telle déroute, le propos se réduit à une caricature et à un dénigrement des « nouveaux cathos », et à une survalorisation de tout le bien que « leur Église » a fait : « on avait raison, ils ont tort », « ils sont ceci ou cela », « le Concile, c’est nous », « les cathos aujourd’hui sont au FN ! », « nous au moins, on faisait ceci ou cela »… le tout dans une ambiance souvenirs d’anciens combattants. Cela a quelque chose de pathétique…
Nous croyons être – comme beaucoup d’autres cathos aujourd’hui – d’une approche qui se démarque assez nettement de cette mouvance (alors que notre sensibilité première nous la rendait sympathique et a priori attrayante) : nous ne contestons en rien leur volonté d’alors d’incarner leur foi et l’Évangile au cœur de la société (ce qui est bien sûr essentiel pour tout baptisé au cœur du monde, et le reste aujourd’hui) mais nous sommes tout à fait lucides avec beaucoup d’autres sur les effets délétères en termes de transmission de foi, de dérive ecclésiale, de relativisme doctrinal et moral, d’abandon d’une pratique vivante (sacrement, prière, réconciliation, adoration…), d’évangélisation (dans le sens de conduire les non-chrétiens ou baptisés non-pratiquants à la rencontre vivante du Christ, à la conversion…), de sécularisation et au final de dissolution dans les sables mouvants des idéologies de gauche : ils ont voulu porter l’Église au cœur du monde (objectif très louable), mais c’est le monde qui les a absorbés, digérés et enfin dissous en son sein.
Henri Tincq effleure à peine ce sujet, car, en résumé, tout le problème, ce sont les autres cathos : de cette disparition, il ne décèle visiblement que des raisons extérieures et l’essentiel de son diagnostic porte sur la soi-disant dérive intégrisante du catholicisme, en utilisant tous les superlatifs négatifs éculés des rhétoriques classiques de la gauche radicale : « conservatisme, identitaire, intégrisme, repli sur soi, intransigeance, nostalgie béate… » et bien d’autres. Ces termes dénigrent tout interlocuteur d’une autre sensibilité, dénient donc toute possibilité de défendre un autre point de vue en étant écouté et respecté.
C’est avoir des œillères, c’est être pétri d’idéologie, c’est méconnaître le terrain depuis des années que de penser que la nouvelle génération catho, active, engagée, pratiquante, missionnaire au nom de sa foi, se revendiquerait du Front National ou se recruterait chez les intégristes, serait soit identitaire ou intransigeante, soit plus tournée vers le passé que vers l’avenir ! Qu’un certain nombre de Français, baptisés non-pratiquants mais de culture chrétienne ancienne (le plus souvent idéalisée, voir phantasmée) fournissent certains bataillons du FN, des anti-migrants, des identitaires… c’est bien possible, mais la grande majorité des forces vives engagées dans l‘Église d’aujourd’hui et de demain ne s’y retrouvent vraiment pas.
Maintenant, on comprend que la thèse d’Henri Tincq lui soit (momentanément) salutaire : oser un diagnostic lucide serait très courageux au regard du cuisant bilan, d’autant plus que leur générosité, leur intention de bien faire et leur conviction d’être en tout fidèle à l’Évangile ont été incontestables (même si ce fut en grande partie de manière naïve, voire aveugle). Pourtant, ce serait sans doute libérateur de regarder cette vérité en face : elle rend libre (Jn 8, 32). De plus, si les cathos de gauche en sont réduits à se voiler les yeux sur les raisons de cet effondrement et se contentent que de dénigrer aussi agressivement les autres cathos, alors ils ne sont pas sortis de leur crise : ils vont s’y enfoncer. Sans un travail courageux sur eux-mêmes, leur histoire, leurs fondements, le travail de refondation que nous appelons ci-dessous de nos vœux sera très très difficile : les mêmes erreurs produiront les mêmes effets.
Une chose est ce travail à faire par les aînés, une autre est celui à conduire par des générations plus jeunes: nous prions pour que s’éveille en France une vraie « nouvelle gauche » chrétienne, qui ne retombe plus dans les travers si graves de ses aînés, mais qui assume cet héritage et cet engagement social, caritatif, écologique, socio-économique, etc. tout en respectant et appréciant – et réciproquement – celui des cathos qui militent davantage pour le mariage homme-femme, luttent pour le strict respect de la vie, pour une éducation moins laxiste et explicitement chrétienne, une culture plus saine, etc. Question de sensibilité et de diversité… dans l’unité.
Tous sont nécessaires à la richesse de l’Église du XXI° siècle dans la mesure où ils s’ancrent dans une vraie anthropologie chrétienne, dans une orthodoxie de la foi catholique, dans la compréhension de ses conséquences en matière de conversion de vie et de cœur, dans l’amour de l’Église et de ses mystères de foi, dans la vie sacramentelle et spirituelle qui en découle et reste la matrice de tout engagement. Le tout en ‘assumant’ ce grand paradoxe de la vie chrétienne : les chrétiens vivent dans le monde, sans être du monde (Jn 17, 16-18). Notre défi est donc, d’une manière ou d’une autre, d’assumer de vivre et d’incarner, individuellement et en Église, cette contre-culture chrétienne qui transforme profondément le monde.
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* on juge l’arbre à ses fruits…
** Guillaume Cuchet, « Comment notre Monde a cessé d’être chrétien »