UN DEFICIT DE MORALITE INTERNATIONALE ? - France Catholique
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La justice de Dieu
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UN DEFICIT DE MORALITE INTERNATIONALE ?

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« La bonne question n’est pas de savoir comment la politique étrangère doit être guidée par les normes de la doctrine morale mais quelle est la doctrine morale dont les normes doivent guider la politique étrangère. » Le jésuite américain John Courtney Murray se faisait cette réflexion en 1960 lors de l’élection du premier – et le seul – président catholique des Etats-Unis, John Kennedy.

L’anticommunisme a longtemps dispensé de se poser la question. La crise de la moralité ordinaire, celle fondée sur le défunt droit naturel, a fait le reste. En revanche, les attentats du 11 septembre 2001 ont remis Dieu dans le circuit des relations internationales, à la fois pour de bonnes et pour de mauvaises raisons : parce qu’ils ont été commis « au nom du Dieu d’Abraham » et que désormais il fallait savoir si l’Occident possédait en lui-même les ressources morales nécessaires lui permettant de lutter contre l’islamisme, sur la base de son héritage, notamment chrétien. Il ne s’agit pas d’ériger le christianisme en alternative face à l’islam pas plus qu’hier face au communisme. Mais de saluer le retour de l’interrogation morale dans le domaine des relations internationales.

Alors que se confirme le retrait américain d’Afghanistan, suivi par la France et les autres membres de la Coalition, la question de la moralité des guerres entreprises au cours des dix dernières années peut être revue, et conséquemment celle de la clôture des opérations militaires en Irak et en Afghanistan. En réaction aux attentats du 11 septembre, les Américains avaient élaboré le concept d’«axe du Mal » et ressuscité la catégorie de la « guerre juste » contre Saddam Hussein et les Taliban, le tout au nom de l’exceptionnalisme américain. En regard, la réaction française fut dénigrée comme cynique, machiavélique, au même titre que celles de la Chine et de la Russie, et de s’étonner que, au moins pour l’Irak, le Saint-Siège soit plus proche des positions de Paris l’immoraliste que de celles de Washington la moraliste.

D’où venaient en effet ces réactions américaines sinon des « faux problèmes » que des théologiens comme Murray avaient bien identifiés comme issus du protestantisme fondamentaliste, à savoir la traduction littérale des notions de Bien et de Mal de la morale personnelle aux relations entre Etats, l’idée que le monde est corrompu par le péché originel, enfin la croyance dans l’innocence originelle de l’Amérique, rachetée qu’elle est par la foi ou l’élection de ses Pères Fondateurs (Founding Fathers), qu’il s’agisse des Pilgrim Fathers du XVIIe siècle ou des rédacteurs de la déclaration d’Indépendance de 1776. Comment ceux qui sont si anxieux de faire le Bien seraient-ils dans leur tort par rapport à des gens qui tiennent un raisonnement purement séculier, guidé par le seul intérêt national ?

Il ne venait à l’esprit de personne aux Etats-Unis que la vieille Europe, quoiqu’elle en ait, demeure culturellement imprégnée par le catholicisme, et même celui de la Contre-Réforme, et que la diplomatie française par exemple fait toujours grand cas des analyses de la diplomatie pontificale qu’elle partage le plus souvent.

Mais l’essentiel sur le long terme n’est toutefois pas dans ce différend transatlantique, aplani depuis l’arrivée au pouvoir des présidents Obama et Sarkozy, mais dans le développement doctrinal de la morale chrétienne à l’international. Pour ne prendre que deux exemples, le droit de la guerre et la suprématie du droit international :

Les positions sur la guerre ne sont pas radicalement différentes de celles sur l’avortement ou la peine de mort. Elles relèvent de la même culture de la vie. Que le Magistère ait évolué par rapport aux théories sur la guerre juste datant de l’époque médiévale, sans caractère péjoratif, cela ne doit pas surprendre. Les conditions de la guerre ne cessent de se transformer. Les débats ont pu porter hier sur la stratégie de la dissuasion, aujourd’hui sur celle de la frappe préventive. La doctrine morale ne sert pas à justifier tel ou tel développement technologique. La guerre juste était déjà une concession à l’époque. Le Magistère n’est pas pour autant devenu « pacifiste », mais c’est le pape Paul VI qui demeurera dans l’Histoire pour la première visite d’un souverain pontife à l’ONU en 1965 et son objurgation solennelle : « jamais plus la guerre.» C’était l’époque de la guerre du Vietnam. Le Pape ne peut pas dire autre chose. Le reste est, comme disent très justement les Jésuites, de la casuistique. Pascal en a fait justice. Au pouvoir temporel d’assumer ses propres responsabilités. Le monde est tel que le recours à la force est toujours probable. Le Pape Paul VI admettait que « tant que l’homme restera l’être faible, changeant et même méchant qu’il se montre souvent, les armes défensives seront hélas nécessaires. »

L’Amérique attaquée exerçait son droit de légitime défense en poursuivant Osama Ben Laden. Au-delà, tout autre discours moral passerait pour un encouragement à la guerre. Le reste est affaire de conscience, et en dernier ressort, même venant d’un homme d’Etat, de conscience individuelle devant Dieu, éventuellement aidée par un « conseiller » (hier confesseur). Le fameux prédicateur évangélique Billy Graham a été celui-là pour plusieurs présidents américains, y compris les Bush père et fils.

Même si l’objectif demeure la construction d’une société internationale ou plutôt d’une grande famille humaine, il reste que notre monde, y compris aux Nations Unies, est composé d’Etats-nations qui ont tous, France et Etats-Unis compris, le droit légitime de poursuivre leurs propres intérêts.

L’ordonnancement de ceux-ci à l’idée d’un Bien Commun, non seulement national mais mondial, doit être bien compris. Celui-ci ne coïncide certainement pas avec la légalité des institutions internationales qui sont perfectibles et qui doivent elles-mêmes être informées par la doctrine morale. Ce n’est pas pour autant qu’une nation ou une autre puisse s’ériger en absolu, décidant souverainement, sans aucun recours, et qu’elle ne puisse être jugée. A cet égard, la Papauté se trouve, dans les circonstances présentes, exercer un magistère spirituel qui dépasse de loin les limites de l’Eglise catholique. Elle est d’autant plus nécessaire aux Nations Unies – qui parfois discute son statut. Mais toute nation qui déclare souhaiter agir moralement, voire chrétiennement, doit savoir qu’elle encourt le risque d’être plus critiquée que d’autres sur ce terrain, et donc admettre ce qu’on pourrait appeler la « correction fraternelle ». L’articulation du droit interne au droit international, et plus encore des institutions nationales aux institutions internationales, que la doctrine traditionnelle de l’Eglise de la subsidiarité est supposée traiter, fait souvent problème. En tout cas, sa compatibilité avec celle de l’exceptionnalisme reste à démontrer.
Le Sermon sur la Montagne n’est sans doute pas un instrument de droit international mais il n’y a aucune raison qu’il soit exclu par principe de la doctrine morale dont les normes s’appliquent à la politique étrangère.