Tâchons provisoirement d’écarter le côté polémique de ce second tour de la primaire de la droite. On doit regretter d’ailleurs ce qu’il y a de manœuvrier dans cette affaire, car il pourrait y avoir une discussion intéressante sur les différences de perception du monde entre les candidats. Qu’il y ait plusieurs droites, comme il y a plusieurs gauches, c’est une évidence. Mais le meilleur moyen pour percevoir en quoi consistent leurs philosophies n’est sûrement pas de procéder par invectives, au demeurant dépourvues d’arguments. Or, il y aurait grand avantage à argumenter et à approfondir la façon dont on perçoit la société actuelle, et notamment la culture qui la soutient ou qui lui manque. Une culture qui n’est pas seulement un vague supplément d’âme, comme l’explique l’excellent sociologue qu’est Jean-Pierre Le Goff, mais « ce qui donne sens à la vie en société ».
Ce n’est pas le cœur du débat depuis le début de la primaire, car la discussion porte surtout sur la réorientation de l’économie. Juppé et Fillon sont d’ailleurs sur le sujet plutôt d’accord, même si le projet du second apparaît plus radical. Le « grand soir libéral » aura-t-il les résultats escomptés pour l’emploi ? On peut en discuter et le dossier à lui seul pèse très lourd dans le cadre de la mondialisation. Mais il y a aussi l’énorme enjeu d’une société en crise et qui s’interroge sur l’héritage de ce que les Anglo-saxons appellent les sixties. Nous en sommes toujours à gérer ce que le même Jean-Pierre Le Goff, appelle, lui, « l’héritage impossible de Mai 68 » en matière de mœurs, en matière d’éducation, en matière de convictions.
Alain Juppé, en se prévalant de la modernité et en repoussant François Fillon du côté de la tradition, gâche malheureusement ce qu’il pourrait y avoir de passionnant dans un échange de fond sur la nature des projets, qui dépasserait leurs aspects purement techniques. La tradition mise à mal peut être, selon Charles Péguy, la source vivifiante des changements décisifs. Mais est-il convenable d’invoquer Péguy, alors que les mots brandis aujourd’hui le sont pour faire mal, et non pour éclairer les citoyens.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 24 novembre 2016.