Depuis quand et pourquoi les curés changent-ils de paroisse régulièrement ?
Abbé François Dedieu : C’est une habitude moderne. On a commencé à bouger les curés, en fonction des diocèses, vers le milieu du XXe siècle. Cela s’est accentué dans les années 1960-1970, pour devenir la règle absolue dans la plupart des diocèses au cours des années 1980.
Rappelons ce qu’est une paroisse…
La paroisse est comme un petit diocèse à l’intérieur du diocèse, et le curé y représente la figure de l’évêque. La paroisse est une famille, dont le curé est le père. Elle a également une dimension eschatologique : dès l’origine, ce sont des petites communautés dont le but est de conduire les fidèles au Ciel. Ainsi, curé et fidèles avancent ensemble vers le Ciel. La paroisse est donc bien plus qu’une subdivision administrative de l’Église ou une association dont on change de président tous les six ans.
Que représente le curé pour ses paroissiens ?
Il est le pasteur, l’époux et le père de ses paroissiens. Il est également « prêtre, prophète et roi », comme tout baptisé, mais d’une manière spécifique : il a mission de sanctifier, d’enseigner et de gouverner sa paroisse. Il gouverne en son nom propre, en communion avec l’évêque. Par peur du cléricalisme, on dit souvent que gouverner c’est servir. Mais non ! Le curé doit conduire sa paroisse, prendre des décisions. Dans un esprit de service, certes, mais il doit oser exercer son autorité paternelle. Aujourd’hui, dès que l’on parle d’autorité, on a peur d’un abus. Au contraire, étymologiquement, l’autorité signifie « faire grandir ».
La stabilité du curé pourrait-elle, selon vous, avoir un impact sur les vocations ?
En effet, les jeunes ont besoin d’une figure de prêtre à laquelle s’identifier pour envisager la vocation. Mais cela prend du temps de s’attacher à un curé, de lui faire confiance. Quand un jeune s’attache, il confie des choses à son curé, parce qu’il le connaît très bien, et que ce dernier l’a vu grandir. Quand j’étais jeune, mon curé savait que je désirais devenir prêtre. Mais quand il a été remplacé, je n’en ai rien dit au nouveau qui ne me connaissait pas… Ici, en huit ans, six jeunes sont entrés au séminaire.
En quoi le don du prêtre serait-il plus grand avec sa stabilité au sein d’une paroisse ?
« Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis », dit Jésus. Si le pasteur ne reste que six ans, il n’est pas donné… il est prêté. En étant stable, il est donné totalement à ses paroissiens : il est davantage configuré au Christ dans le don total, nuptial, à son Église car la paroisse est, en quelque sorte, l’Église en miniature.
Le curé stable est comme un époux : il est marié à sa paroisse. Il n’est pas de passage. Il sait que s’il ne fait pas grandir sa paroisse, elle ne grandira pas. Cela l’engage davantage. Le prêtre donné ne rêve pas d’une autre paroisse. Cela évite aussi le carriérisme éventuel de certains curés. Bien sûr, si un curé gère mal sa paroisse ou s’il est en conflit avec ses paroissiens, l’évêque peut le déplacer. Mais, aujourd’hui, on bouge les curés même quand tout va bien !
À l’inverse, la mobilité des curés peut créer une dynamique dans les paroisses…
En réalité, on observe que la paroisse qui voit partir son curé est déstabilisée et celle qui le voit arriver également, parce qu’elle a elle aussi perdu son curé. Cela entraîne toujours des temps de latence, soit que, parfois, le curé ne se sente pas très bien accueilli, soit qu’il ne veuille pas casser ce qu’a fait son prédécesseur.
Par ailleurs, on observe que lorsqu’un curé arrive pour six ans – la durée « normale » d’une charge curiale –, dans la dernière année, il ne fait pas grand-chose parce qu’il ne sait pas s’il va rester. S’il est prolongé de trois ans, c’est la même chose au cours de la neuvième année. Et idem s’il est encore prolongé de trois ans, il n’entreprend pas grand-chose dans sa douzième année. Avec le Curé d’Ars, les premiers pèlerinages de personnes extérieures à la paroisse, venant se confesser, ont commencé après… douze ans de présence du saint Curé ! Aujourd’hui, il aurait quitté sa paroisse avant d’avoir la fécondité que l’on sait… En Martinique, Mgr David Macaire ne mute plus ses curés. Il m’a expliqué que lorsqu’on bouge un curé, cela déstabilise une paroisse pendant deux ans. Donc il a deux options : déstabiliser la paroisse tous les trente ans, ou tous les six ans…
La mobilité limite sans doute le risque de la personnalisation de la figure du curé…
Il faut accepter que le Christ passe par notre humanité pour sauver les hommes. Chacun a sa personnalité. Mais le prêtre, de toute façon, stable ou non, doit sans cesse montrer le Christ, comme Jean-Baptiste. C’est normal qu’une paroisse prenne la couleur de son curé. Chaque paroisse est différente, en fonction du curé qui la gouverne. Curé et fidèles, on grandit ensemble, on se convertit ensemble. On agit avec les curés comme s’ils étaient interchangeables, comme s’ils n’avaient pas de personnalité, pas d’humanité. Mais ce n’est pas juste de l’administration.
Par ailleurs, la stabilité du curé ne signifie pas qu’il doit être le seul à s’exprimer. Sur ma paroisse, je fais venir souvent des prêtres extérieurs pour venir parler, apporter un souffle neuf, comme autrefois avec les missions paroissiales. Certains craignent également que la paroisse ronronne avec le même curé. Mais, à l’inverse, à chaque fois qu’il change, il faut repartir à zéro. Il vaudrait mieux aider le curé et la paroisse à évoluer en restant ensemble. Ce ne sont pas les personnes qu’il faut faire bouger mais les cœurs.
N’y a-t-il pas un danger de « sur-attachement » au curé ?
Mais pourquoi ne faudrait-il pas s’attacher ? C’est une bonne chose, cela permet de créer des liens, de faire confiance à son curé. Il faut tenir compte de la réalité de l’humanité des prêtres et des fidèles, ré-humaniser l’Église. Quand saint Paul quitte une communauté, il établit un ancien à sa tête, qui ne changera pas. À l’inverse, lorsqu’un prêtre arrive pour un temps déterminé, cela lui donne trop d’importance. On favorise justement le cléricalisme en donnant le sentiment qu’il est en dehors de la communauté, alors qu’en réalité, une paroisse, c’est le corps du Christ, dont le prêtre est la tête. Il ne passe pas de corps en corps !
Par ailleurs, le cléricalisme c’est justement de dire que lorsqu’un curé fait des choses bien, on va le mettre ailleurs pour qu’il les reproduise. Mais ce n’est pas lui tout seul qui a fait cela : il ne faut pas oublier les fidèles du lieu, avec leurs charismes. Il ne suffit pas de le changer pour retrouver le même dynamisme. Personnellement, je suis dans ma onzième année sur ma paroisse. Je connais de mieux en mieux mes paroissiens, je sais ce que je peux leur demander, leur proposer. De plus en plus de choses se font sur la paroisse grâce à notre connaissance réciproque. Il ne faut pas avoir peur de voir certaines paroisses devenir des pôles exemplaires. Elles vont rayonner et donner envie à d’autres de bouger.
Comment voyez-vous le rôle de l’évêque ?
La stabilité des curés implique davantage les évêques : ils doivent se comporter vraiment comme des pères, pour être attentifs à chaque curé comme à un fils et le réveiller si besoin.
Quand les curés sont mobiles, dans le cas où cela ne se passe pas bien, l’évêque n’a qu’à attendre la fin de leur mandat pour les changer de paroisse. Il n’a pas besoin de gérer le problème.
Vous dites que la conversion de la paroisse part de l’Eucharistie : c’est-à-dire ?
La paroisse est une communauté eucharistique. Elle est le lieu où le Christ se rend présent dans l’Eucharistie et d’où il nous envoie en mission. C’est d’elle que procède toute la vie paroissiale.
L’Église n’existe pas sans le Christ. La paroisse ne peut être qu’une communauté eucharistique et missionnaire. Cela implique d’y apporter un très grand soin, pour que les gens découvrent que le Christ est au cœur de cette paroisse. Par exemple, dans ma paroisse, j’ai remis le tabernacle au centre de l’église. C’est très symbolique. Il faut aussi redonner de la place à l’adoration, qui porte des fruits magnifiques. Plus les gens ont un amour de l’Eucharistie, plus ils sont missionnaires.
Votre livre est susceptible de créer un vif débat !
C’est un pavé dans la mare que je lance. J’espère qu’il va permettre de se dire que c’est possible de penser autrement… Je suis très reconnaissant à mon évêque, Mgr Matthieu Rougé, de l’avoir préfacé. Le livre a été très bien reçu par beaucoup de mes confrères prêtres. Beaucoup souffrent de cette mobilité, quoique ce ne soit pas le cas de tous, bien sûr. L’évêque doit tenir compte de chaque situation. Il faut que l’on sorte des règles que l’on s’est fixées : l’objectif doit être la mission. Est-ce qu’on se donne les moyens d’annoncer le Christ à tous ? Il faut chercher en premier le bien des âmes, des fidèles, des prêtres, qui requiert la stabilité du pasteur donné sans retour à ses paroissiens…
—
Curé à durée indéterminée. Des pasteurs stables pour des paroisses qui bougent, François Dedieu, avril 2022, éd. Artège, 236 pages, 17,90 €.
Pour aller plus loin :
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- SCIENCE ET TOLÉRANCE : THÉORIES « MAGNIFIQUES »