Comment échapper à l’affaire Fillon, lorsqu’on doit éditorialiser sur l’actualité, même lorsqu’on s’abstient de prendre parti dans le jeu politique ? Ne s’agit-il pas d’une question morale ou judiciaire, où chacun est sommé de se prononcer en conscience ? Y a-t-il eu irrégularités, y a-t-il eu faute ? C’est donc en tant que moraliste que l’éditorialiste est sommé d’énoncer un jugement. Certes, mais comment ne pas voir qu’il est absolument impossible de détacher la morale de la politique, et notamment des circonstances politiques ? Lundi matin, j’avais déjà noté qu’avec l’affaire Fillon c’était la violence qui s’invitait dans la campagne électorale. Et le fait que la justice soit en cause ne fait qu’ajouter à cette violence. N’est-ce pas Montesquieu, théoricien de la séparation des pouvoirs, qui estimait que le pouvoir judiciaire était le plus redoutable de tous ?
Certes, il y a plusieurs lectures possibles de l’affaire Fillon, mais il en est une que l’on ne peut éluder. Nous sommes en face de l’exécution violente d’un candidat. Les circonstances sont irrécusables. Le dossier accusatoire est brandi au moment le plus sensible, le plus déstabilisateur. Et dans un but évident, il s’agit d’abattre politiquement un homme avec les armes les plus adéquates. Oui, me répondra-t-on, mais ces armes ne sont pas illégitimes. Le Canard enchaîné a produit un dossier nourri, argumenté, qui sollicite sans doute la fureur de l’opinion, mais sans se fonder sur des réflexes pervers. C’est la probité, le souci du bon emploi des deniers publics, la lutte contre l’enrichissement sans cause avouable, qui motivent l’offensive médiatique. Évidemment, mais que l’on pardonne cette formule provocatrice : l’appel à la morale permet au crime d’être presque parfait, l’exécution sans bavure.
C’est pourquoi je garde ma distance par rapport à cette affaire, un peu à l’exemple d’Emmanuel Macron, qui déclare : « Je ne participe pas à l’hallali. Je n’accable pas les gens, je pense qu’ils doivent être entendus. (…) Oui à la transparence, non au déballage et à l’agressivité. » Peu importe que ce soit Macron qui se montre sage en l’occurrence. Dans l’emballement actuel, propice à l’exécution du bouc émissaire, il convient de refuser la logique de la violence.