Un colloque sur la Terre Sainte au Sénat - France Catholique
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Un colloque sur la Terre Sainte au Sénat

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Le 20 mars 2010 a eu lieu le colloque « Proche Orient et Terre Sainte. La politique entre l’histoire et les religions » organisé par l’Ordre du Saint-Sépulcre, en partenariat avec le quotidien La Croix. C’est au Sénat qu’a pu se dérouler une journée qui rassembla quelque trois cent participants, montrant que la perspective spirituelle retenue, ainsi que le sérieux offert dans cette délicate matière par la Lieutenance de France d’un Ordre pontifical, était de nature à convaincre de la légitimité de la démarche.
Le professeur Joël-Benoît d’Onorio présida le colloque avec l’aisance conférée par sa longue connaissance des intervenants.

Il revint au général Bernard Fleuriot, lieutenant de France, d’ouvrir les travaux par un rappel de l’action de l’Ordre du Saint-Sépulcre, qui compte 25 000 membres dans le monde dont 900 en France, au service du patriarcat latin de Jérusalem, auquel il a apporté en 2009 une aide de 9 millions d’euros. L’importance du financement d’écoles, afin de poursuivre la formation d’élites locales et d’en limiter l’émigration, a été soulignée, quelques 18 000 élèves étant ainsi scolarisés. M. Jean Guéguinou, ambassadeur de France, mit ensuite en exergue « La question de Jérusalem et des lieux saints ». Cœur de cet « Orient compliqué » dont parlait le général de Gaulle, Jérusalem est la ville « trois fois sainte ». L’enjeu spirituel qu’elle représente pour chacun des trois monothéismes, encore augmenté par le legs d’une histoire conflictuelle dont le centre reste pour nous les Croisades, ont naturellement pesé sur sa destinée. Ainsi, lorsqu’une page nouvelle de l’histoire de la Palestine s’ouvrit par la création de l’État d’Israël, le « plan de partage » établi par l’ONU en 1947 opta avec logique pour un statut particulier de Jérusalem, y distinguant trois entités : l’une israélienne, l’autre palestinienne, mais aussi une partie internationale, sous contrôle direct des Nations-Unies : le « Corpus separatum », précisément constitué de la vieille ville rassemblant les principaux lieux saints, comprise dans Jérusalem-Est. On sait que le déclenchement de la première guerre israélo-arabe, dès 1948, a empêché le respect de ce statut, qui depuis lors ne put jamais trouver d’application. Sans faillir, néanmoins, le Saint-Siège est demeuré le principal défenseur de cette solution, la seule manifestement qui puisse offrir une issue. Le R.P. Maurice Borrmans, p.a., a approfondi cette question d’« Une ville sainte pour les juifs, les musulmans et les chrétiens ? ». Dans la tradition juive, Jérusalem-Sion est capitale religieuse, sa restauration et celle du Temple dont demeure le Mur des Lamentations étant la condition d’un retour du peuple élu à sa vocation, ce qu’illustre la formule rituelle clôturant la Pâque juive : « L’an prochain à Jérusalem ». Pour les musulmans, c’est le lieu de la mosquée « la plus lointaine », où Mahomet fit sa conversion nocturne, conversant avec Abraham, Moïse et Jésus. L’esplanade de la mosquée Al-Aqsa – l’une des trois du grand pèlerinage musulman avec La Mecque et Médine – est par suite considérée comme le lieu de la fin des temps et du rassemblement final des musulmans. Jérusalem demeure plus directement encore fondatrice de la foi chrétienne, puisqu’elle est à la fois la ville où Jésus fut présenté au Temple, là aussi où il a prêché et guéri des malades, là surtout où il a connu sa Passion et sa Résurrection, dont témoigne son Tombeau vide, le Saint-Sépulcre. C’est donc le foyer natal de la communauté chrétienne. Le cardinal Jean-Louis Tauran a poursuivi cette réflexion : « Quelles garanties pour les chrétiens de Terre Sainte et les lieux saints ? ». Successeurs de la première Église, les Arabes chrétiens sont une très faible minorité représentant 2% de la population de ces territoires. C’est néanmoins leur vocation de continuer de témoigner – souvent au sens le plus fort, qui fournit l’étymologie du martyre – sur cette terre de la Résurrection. L’Église s’est appuyée sur leur témoignage, mais aussi sur la custodie franciscaine de Terre Sainte, sur le Patriarcat latin de Jérusalem, ainsi que sur la diplomatie pontificale, pour réclamer sans cesse au cours des siècles des garanties pour les fidèles. Les croisades et l’établissement du royaume latin de Jérusalem avaient trouvé là leur motif, aux XIIe et XIIIe siècles, avant que les Lieux saints ne retombent aux mains des Arabes, puis à celles des Ottomans. Aujourd’hui, dans l’attente de l’internationalisation de la vieille ville de Jérusalem qui demeure la position du Vatican, le triple devoir des catholiques est de poursuivre les pèlerinages en Terre Sainte, de soutenir financièrement le patriarcat, enfin de promouvoir le dialogue. Le R. P. David Maria Jaeger, o.f.m., délégué de la Custodie de Terre Sainte à Rome, compléta le propos en faisant part de son expérience directe dans « Les accords concordataires entre le Saint-Siège, l’État d’Israël et l’O.L.P. ». Le concordat de 1993, le premier passé avec un pays du Moyen Orient, aboutit grâce à l’importance que Jean-Paul II avait accordé à la question. Il s’agissait pour lui de promouvoir « non la simple tolérance, mais la liberté ». Signé entre les conférences de Madrid et les accords d’Oslo, le concordat témoigne de ce « printemps de la Terre Sainte » : en 1999, un accord définitif entre Israéliens et Palestiniens semblait imminent. Malheureusement, la seconde intifada, déclenchée par la visite de l’esplanade des mosquées par Ariel Sharon en septembre 2000, a tout remis en cause. Un concordat doit être suivi de lois organiques pour devenir opposable en justice ; tel n’est pas encore le cas des accords obtenus par le Saint-Siège en 1993 et 1997, qui ne peuvent donc être utilisés devant les tribunaux israéliens. L’importance déterminante du rôle que pourra encore jouer la diplomatie vaticane, grâce à son expérience pluriséculaire, n’en demeure pas moins évidente.

C’est cette même crédibilité des institutions de l’Église catholique que démontra la venue, dans ce colloque organisé par un ordre pontifical, des représentants de la diplomatie des peuples directement aux prises dans le conflit. La fin de la matinée fut en effet consacrée aux interventions M. Sammyr Ravel, ministre plénipotentiaire à l’ambassade d’Israël ; de Mme Dina Kawar, ambassadeur de Jordanie ; enfin de M. Elias Sanbar, représentant de la Palestine à l’UNESCO. M. Ravel a présenté Israël comme demeurant aculé à la légitime défense par le danger représenté par les tirs de roquette depuis les territoires palestiniens et par l’action du Hamas, dont il a souligné les liens avec un Iran devenu la principale menace militaire pour Israël. Mme Kawar a rappelé la médiation du royaume de Jordanie, dont la dynastie hachémite est la protectrice de droit de Jérusalem-Est, en vertu des accords d’armistice de 1949, transgressés depuis la guerre des Six jours de 1967. Elle a fait part de l’inquiétude du gouvernement jordanien à trois égards : la colonisation israélienne en Cisjordanie ; la situation des Arabes à Jérusalem-Est, touchés par une vague d’expropriations, qui mettra fin à terme à la vocation de mosaïque de peuples de la Ville sainte ; enfin les creusements israéliens sous Jérusalem, qui mettent en péril les constructions et le patrimoine historique. M. Sanbar, de son côté, a insisté sur le fait que « les croyances religieuses ne sont pas négociables » et que de ce fait la ville ne pouvait faire l’objet d’un monopole. Il a plaidé pour un partage entre Jérusalem-Ouest, laissé à l’État juif, et Jérusalem-Est appelée à devenir la capitale d’un État palestinien. Il engagea les Israéliens à comprendre que la reconnaissance du tort causé aux Palestiniens en 1948, faisant d’eux des réfugiés, n’était pas la porte ouverte à une délégitimation d’Israël, mais le préalable de la paix. La vigueur polémique des échanges qui s’ensuivirent ne pouvait surprendre, soulignant s’il en était besoin la constante nécessité de multiplier les médiations.

Lors de la reprise des travaux, le recteur Joseph Maila évoqua « Les minorités au Proche Orient ». La présence de ce responsable du pôle « Religions » à la direction de la prospective du ministère des Affaires étrangères témoignait de l’intérêt officiellement accordé à la dimension religieuse dans la diplomatie française. Il ressortait de sa communication que les structures impériales, comme celle de l’empire ottoman qui régna sur la Terre Sainte, étaient plus à même de permettre la coexistence de peuples différents – situation que l’on pourrait rapprocher de l’expérience de l’empire autro-hongrois en Europe. L’imitation du modèle révolutionnaire français de l’État-Nation au Proche Orient a au contraire été marqué par des massacres comme celui des Arméniens en 1915 ou des Libanais en 1940. Le professeur Jean-Dominique Durand, ancien conseiller culturel à l’Ambassade de France près le Saint-Siège, revint sur le rapport entre « Les papes et la Terre Sainte ». Il rappela leur triple préoccupation : conserver l’accès aux Lieux saints ; protéger les communautés chrétiennes, spécialement les congrégations ; préserver la paix. Il a confirmé le renouvellement apporté par Jean-Paul II, l’ancien archevêque de Cracovie étant particulièrement qualifié pour comprendre la tragédie du peuple juif et s’attacher à reprendre le dialogue avec Israël. Pour autant, l’effort des papes ne peut négliger la nécessité de pacifier les rapports entre les différentes églises chrétiennes elles-mêmes, l’enjeu du contrôle des Lieux saints étant très fort pour leurs hiérarchies, d’où les dissensions parfois violentes qui ont pu se donner en spectacle encore récemment dans la basilique du Saint-Sépulcre. Enfin, l’ambassadeur Guéguinou est revenu sur l’action de « La France en Terre Sainte ». Depuis le royaume latin de Jérusalem, en passant par la protection des Lieux saints par les « capitulations » que François Ier, pour compenser son alliance choquante avec Soliman Ier, obtint de la Sublime Porte, et jusqu’au maintien de cette institution unique qu’est le Consulat général de France à Jérusalem, l’intervention de la France en Terre Sainte apparaît comme une vocation indissociable de l’identité historique de notre pays.

C’est dire avec quelle attention les membres de la Lieutenance de France ont écouté le gouverneur général de l’Ordre du Saint-Sépulcre, M. Agostino Borromeo, professeur à l’Université de Rome-La Sapienza, clore le colloque par une exhortation à maintenir cette tradition aujourd’hui millénaire.

Jean-Luc Coronel de Boissezon