Comment qualifier le climat politique actuel de la France ? Personne ne se risquerait aujourd’hui à affirmer qu’il est normal. À certains égards, il est détestable. Peut-on parler de crise de régime ? Il faut faire très attention avec ce type de formule. La Cinquième République a connu un certain nombre de crises très éprouvantes. Les jeunes générations ne savent peut-être pas que, sous le général de Gaulle, qui est pourtant la figure fondatrice de la France contemporaine, le pays s’est trouvé, un moment, au bord de la guerre civile. C’était lors de l’affaire algérienne. Il y eut aussi la bourrasque du printemps 68 où le général se trouva désarçonné face à un phénomène qui lui était indiscernable. Il opéra, certes, un redressement spectaculaire mais momentané, puisque, l’année suivante, il quittait le pouvoir, faute d’avoir persuadé le pays de la nécessité des orientations qu’il préconisait.
Tout ceci pour dire que l’exercice du pouvoir n’est pas un long fleuve tranquille. L’ampleur des tâches qui s’impose à François Hollande et à son gouvernement, dans les conditions de la crise actuelle, est en elle-même démesurée. L’intérêt de nos institutions est de protéger, dans une certaine mesure, le Président qui n’est plus à la merci des humeurs d’une assemblée, qui, sous les régimes précédents, empêchait toute continuité, toute entreprise à long terme. Ceux qui escomptent un clash institutionnel se trompent probablement. Je vois mal François Hollande démissionner. Ce qui ne signifie pas que l’avenir, pour lui, soit rassurant. Ce qui est sans doute le plus inquiétant, c’est le risque d’une contagion de la révolte bretonne des bonnets rouges. En 1968, un formidable mouvement social pouvait déboucher sur des négociations favorables aux salariés, parce que l’expansion économique le permettait. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui.
Certains parient là-dessus pour envisager un forcing politique. Qu’ils fassent bien attention, car leur démesure risque de leur aliéner l’opinion troublée d’aujourd’hui. Or rien n’est possible sans conquête durable de cette opinion. Conquête qui passe par la persuasion, et, en aucun cas, par la violence destructrice.
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 13 novembre 2013.