Quel chrétien Péguy était-il ? Sur quoi fonde-t-il sa foi ?
Père Laurent-Marie Pocquet du Haut-Jussé : Il a lui-même énuméré les sources de son travail théologique : « Premièrement, le catéchisme » – et il précise « le catéchisme des petits enfants » et « dans le catéchisme, les sacrements » ; puis la messe ; puis les Évangiles ; puis les Procès de Jeanne d’Arc ; enfin, une connaissance historique de la chrétienté française au Moyen Âge, et du christianisme en général.
Ce qui est intéressant, c’est qu’il était de très humble extraction. Or, de ce bagage d’abord léger, le catéchisme de son enfance, et malgré la pauvreté de ses origines, il tire une vision organique du catholicisme articulant la création, l’incarnation, la rédemption, les sacrements, la prière… De façon si cohérente, et avec une telle intelligence du christianisme, qu’on peut parler sans excès d’un mystère Péguy.
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Chrétien attaché à la vérité, Péguy se méfiait pourtant de l’Église…
En tout cas de ses clercs… Mais il faudrait nuancer. Socialiste, Péguy déteste l’anticléricalisme idéologique du Parti radical, qu’il qualifie de « persécutions stupides ». Ce qu’il reprochera beaucoup aux catholiques, après son retour à la foi, c’est de vouloir pactiser avec le monde moderne. Péguy reproche aux chrétiens de singer leurs adversaires, de se rendre à leurs arguments par désir de complaire, ou par honte de soi. Les clercs ont pris leur parti du monde moderne, ils recherchent l’approbation des intellectuels dont ils reprennent la méthode et les concepts, ils cherchent à accommoder les restes du christianisme avec leur époque, jusqu’à « vendre Dieu » de peur de paraître ridicules à la Faculté. C’est ce que Péguy ne supporte pas, qu’il trouve indigne.
Mais que reproche-t-il au « monde moderne » ?
Il lui reproche d’avoir « désorganisé » la société en abattant l’ancienne France, plus que l’Ancien Régime : une société fondée sur des solidarités personnelles, un monde gouverné par l’humilité qu’impose le travail de la terre, par l’honneur et par le respect : respect du travail, de la femme et de l’enfant, de la famille, de la parole donnée, de Dieu. Au contraire, le monde moderne a le culte du progrès, de la mécanique et de l’argent « devenu maître à la place de Dieu ». La civilisation technicienne en vient à n’estimer que ce qu’elle produit et, par-là, elle s’adore elle-même. Mais en rejetant ce qui l’a précédé, le monde moderne provoque l’effacement de l’humanité ; en se désintéressant de la nature, en se détournant du réel, il se condamne à la stérilité. C’est un monde fatigué, qui se survit d’idées toutes faites, d’idéologies. Bernanos dira que la civilisation moderne est « une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ». Péguy est un précurseur.
Malgré ce tableau, il cultive l’espérance…
Par lucidité, et peut-être aussi poussé par une inclination du cœur. Par lucidité car « on ne va jusqu’à l’espérance qu’à travers la vérité, au prix de grands efforts et d’une longue patience ». C’est aussi de Bernanos. L’espérance est la grande réponse au monde moderne. Espérer, pour Péguy, c’est rester disponible à l’irruption de la grâce, à l’intervention de Dieu que le monde moderne a banni. C’est « aimer ce qui n’est pas encore et qui sera ».
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