Un bref memorandum au Pape François au sujet de l'Amérique - France Catholique
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La justice de Dieu
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Un bref memorandum au Pape François au sujet de l’Amérique

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« Le Vatican n’a pas sollicité mon avis quant au pèlerinage qu’il doit prochainement accomplir en Amérique; mais s’il l’avait fait, voici ce que j’aurais pu dire. » RR

 » Cher Saint-Père, nous nous réjouissons de vous accueillir sur ces rivages, que vous n’avez encore jamais visités. Il est regrettable que vous ne fassiez que de brèves escales à Washington, Philadelphie et New-York. Car l’Amérique -grand pays, parfois pris en défaut, mais au grand coeur – est un pays que vous apprécieriez si vous restiez plus longtemps parmi nous, vous qui vous êtes révélé si ouvert et généreux.

Ce pays était fortement chrétien. Et, malgré l’augmentation du nombre d’incroyants, il le reste pour la plus grande part, bien plus que ce que l’on peut trouver dans la plupart des autres nations. Si des gens ont quitté l’Eglise, ce n’est pas tant pour se libérer d’interdits qui leur seraient imposés. Des obligations réglementaires, aussi bien chrétiennes que d’autres, il n’y en a plus guère chez nous.

Tous ceux qui se soucient de l’Eglise sont d’accord pour dire que nous avons besoin aujourd’hui d’une foi forte, évangélisatrice. Au cours du demi-siècle passé, pour un résultat bien léger, nous avons prêché de nos chaires l’amour de Dieu pour nous, la joie chrétienne. Le vrai problème est que, aujourd’hui, la plupart des gens sont incapables de dire ce que le christianisme ajoute à leur vie. Même de nombreux chrétiens pensent que la loi et les prophètes se résument à tolérance et ouverture d’esprit. Vous n’avez pas besoin de Jésus, de l’Eglise, de toute cette affaire catholique pour ça !

Ainsi, il sera bon de vous voir ici, prêchant l’Evangile.

Vous rencontrerez surtout des leaders politiques et religieux. Les Américains ont toujours été méfiants à l’égard des gouvernants et politiciens. Mais, actuellement en particulier, ils sont fâchés de constater que nos leaders n’accordent pas le sentiment souhaitable d’urgence à nos enseignements spirituels. Ceci est un pays dont nous étions fiers, malgré toutes ses fautes. Nous en sommes moins sûrs aujourd’hui.

Nous ne sommes pas les seuls concernés par ce problème. En tant que nation la plus puissante du monde, nous avons l’habitude d’être accusés de tout ce qui va mal dans le monde. Mais nous sommes aussi le pays vers lequel tout le monde se tourne, qu’il s’agisse d’un tsunami dans l’Océan Indien, un tremblement de terre à Haïti, ou quelque menace que seules les forces américaines peuvent repousser. Nous ne sommes pas toujours fidèles à ce qu’il doit y avoir de meilleur en nous. Mais, en conscience, ce qu’il y a de positif en nous peut contribuer à alléger le malheur du monde.

Vous serez peut-être surpris de savoir que nous avons des débats animés sur l’environnement, l’inégalité sociale, l’immigration, selon vos propres préoccupations majeures et que des chrétiens sérieux et consciencieux ont des opinions diverses. J’espère que vous apprécierez ce qu’il y a de sain dans ces approches différentes. Nos problèmes sont trop graves et compliqués pour que nous donnions l’exclusivité de la sagesse à un camp plus qu’à l’autre.

Sans doute entendrez-vous beaucoup parler de « polarisation » ici. C’est un fait. On n’y peut rien, puisqu’il existe maintenant deux systèmes moraux opposés rivaux dans notre pays. L’un accepte Dieu, la nature, l’ordre social en tant que limites de la volonté humaine. L’autre, à l’opposé de notre tradition américaine, considère l’être humain libéré de toute contrainte comme souverain, et exige que la loi fasse tout ce qui est possible (voire beaucoup de choses impossibles !) pour le satisfaire.

Et puis il y a nos partis politiques. Dans un parti, le candidat qui fait la course en tête est une femme pleine d’expérience de bien des scandales. On peut la voir arriver à la présidence, ou en prison, nous ne savons pas encore. Elle est concurrencée par un candidat socialiste (chose étrange chez nous) dont les partisans viennent d’une gauche exacerbée. Dans l’autre parti, le candidat en pointe est un bouffon milliardaire, qui en appelle aux plus affreuses pulsions d’une droite activiste. Voyons un peu: il prétend que nous pouvons -humainement- déporter 12 millions d’immigrants…

Saint-Père, ne vous laissez pas égarer par cette controverse sur l’immigration. L’Amérique est une nation d’immigrants, qui absorbe chaque année un million d’immigrants légaux. Toute cette discussion sur la xénophobie et le racisme n’est que baratin. Treize pour cent de notre population sont nés à l’étranger et, chaque année, nous ajoutons un pour cent à ce chiffre. C’est clair: nous restons un pays d’immigration légale.

Mais aucun pays ne peut accepter quiconque arrive et veut rester. L’Europe aussi fait face à l’afflux de milliers de migrants d’Afrique ou d’Orient. Ce n’est pas seulement une question de droit. Notre peuple, n’importe quel peuple, attend de son gouvernement qu’il soit prudent et qu’un afflux étranger ne vienne pas submerger les systèmes économique, social, moral et culturel dont chacun dépend.

Et cela inclut un autre de nos soucis: l’inégalité. Très peu d’Américains, autres que politiciens démagogues, s’inquiètent au sujet d’injustice sociale quand l’économie américaine fonctionne bien. Ce milliardaire bouffon, on peut le féliciter quant à sa manière de gagner de l’argent, mais pas l’envier. Nous n’en voulons pas aux super-riches, si leur fortune est faite correctement. Notre seul souci à propos d’injustice sociale c’est quand nombreux sont ceux qui se trouvent exclus de ce que Saint Jean-Paul II appelait le « cercle de production et d’échange ».

Ce que nous pensons, c’est que nous avons besoin d’une économie qui procure des jobs et de la richesse; et nous croyons que cela ne peut venir que de marchés organisés, qui ont bien existé naguère chez nous. (Où donc existe ce capitalisme sauvage sans règle, selon le fantasme socialiste ?)

Enfin, Saint Père, nous avons besoin de vous voir appréhender la profonde menace à l’égard de la liberté religieuse, qui se manifeste ici. Vous avez plaidé pour l’embryon, dont vous dites à juste titre qu’ils sont avortés « grâce à » une culture de rejet, matérialiste et consumériste. Vous avez aussi mis l’accent sur le fait que les menaces qui pèsent sur la famille « traditionnelle » -comme nous devons bien désormais la qualifier- constituent une menace pour notre « écologie humaine ».

Vous avez fait ces remarques avec gentillesse et dans un esprit de dialogue. Mais, dans notre pays, comme aussi en Europe et en Amérique Latine, une telle générosité ne reçoit pas un accueil aussi tendre, mais plutôt des critiques et vives protestations. Sauf si l’Eglise fait marche arrière, avec détermination, l’espace de liberté religieuse sera restreint, peut-être bientôt, au périmètre de nos églises. Peut-être même pas !

Nous avons besoin de votre aide pour y mettre un terme. Car si notre espace publique était dépouillé de religion authentique, Saint Père, qui survivrait pour le Monde Nouveau?

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/08/31/a-brief-note-to-pope-francis-on-america/

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Robert Royal est rédacteur en chef de « The Catholic Thing » et président du « Faith & Reason Institute, à Washington