La guerre du Vietnam a pris un tour décisif le 11 juin 1963 lorsqu’un moine bouddhiste de 73 ans, assis dans la position du lotus, s’immola par le feu en plein Saïgon. Son nom, Trich Quang Duc, est resté dans l’Histoire. Le 1er novembre suivant, le gouvernement de Ngo Dinh Diem — une grande famille catholique, le frère du président étant archevêque de Hué — était renversé — avec l’aide de la CIA qui ne s’en porta pas mieux par la suite.
Le moine protestait contre ce qu’il considérait comme l’hostilité du gouvernement à l’encontre de la majorité bouddhiste et réclamait la liberté religieuse. On se souvient également du mouvement des moines birmans en 2007 qui fut pour beaucoup dans la libéralisation ultérieure du régime militaire.
Or aujourd’hui, l’attention internationale est attirée sur le rôle néfaste de certains moines bouddhistes dans la montée d’intolérance religieuse que connaît cette région de l’Asie du Sud-est entre Inde et Chine. On avait bien eu vent d’une certaine idéologie bouddhiste à l’œuvre au Sri-Lanka poussant à la lutte finale avec la minorité tamoule du nord (hindous et chrétiens) réduite par la force il y a quatre ans. Depuis un an, une organisation paramilitaire bouddhiste, le Bodu Bala Sena (BBS), gagne en puissance. Elle vise à faire du Sri Lanka un Etat officiellement bouddhiste.
La libéralisation en cours en Birmanie risque de déchaîner d’autres démons. L’un d’eux fait la couverture de l’hebdomadaire américain Time daté du 1er juillet : « Le visage de la terreur bouddhiste », le moine Wirathu, de Mandalay, la vieille capitale religieuse de l’ancien royaume de Myanmar. Celui-ci, qui ne répugne pas au titre de « Ben Laden bouddhiste », est à l’origine des persécutions dont sont victimes une minorité de musulmans de la côte donnant sur l’Océan indien, les Rohingyas, à cheval sur le Bangladesh où ils sont également discriminés. Des choses absolument horribles ont lieu contre ces populations et les réfugiés ont de surcroît dû fuir les derniers cyclones qui ont frappé le sud du Bangladesh. Les Nations Unies considèrent cette petite ethnie comme l’une des plus persécutées de la planète.
La Birmanie est un conglomérat de 136 ethnies rassemblées par la colonisation anglaise de l’Empire des Indes : Inde, Pakistan, Bangladesh et Birmanie, faut-il le rappeler, faisaient partie d’un même empire. En 1947, la partition se fit grossièrement sur des bases religieuses, une Inde hindouiste, un Pakistan musulman, une Birmanie bouddhiste. C’était faire fi des nombreuses minorités, notamment chrétiennes qui vivaient dans les provinces du Nord-est tant en Inde qu’en Birmanie. Le père d’Aung San Suu Kyi, le général Aung San, s’efforça de conclure des accords avec les Etats autonomes ce qui donna à la Birmanie son titre d’ « Union birmane », mais il fut immédiatement assassiné dès juillet 1947 ! N’est-ce pas le destin qui attend sa fille si elle se dirigeait, elle aussi, dans ce sens. On a noté sa discrétion sur le sujet. Il est plus aisé de s’opposer comme Birmane de souche à une dictature militaire birmane, que de faire accepter aux Birmans l’autonomie d’Etats ethniques distincts, les Karen (majoritairement baptistes), les Chan, les Chin, les Kachin. Quand aux musulmans Rohingyas, n’en parlons pas car ils n’ont jamais même obtenu la nationalité. Ils sont apatrides, un peu comme nos Roms.
Ces manifestations d’intolérance bouddhiste semblent limitées à la tradition Theravada, différente des deux autres grandes traditions, Mahayana (Chine, Corée) et Vajrayana (Tibet). Encore ne sont-elles évidemment que le fait d’extrémistes qu’on pourrait qualifier de fondamentalistes. Le moine Warithu a déjà été emprisonné de 2003 à 2010 pour avoir incité à des pogroms anti-musulmans. Pour l’instant, il semble libre de ses mouvements et même protégé par l’armée.
Ceci n’est pas pour relativiser l’intolérance religieuse et ethnique à l’œuvre dans les pays musulmans de la région, Indonésie, Malaisie, Pakistan, Afghanistan (on y a en mémoire la destruction des grands Bouddhas), ainsi qu’au sud de la Thaïlande à majorité musulmane. Ce n’est pas non plus pour relativiser l’image pacifique et non-violente associée à travers le monde au Bouddha. Le propos ici est seulement de rappeler que la liberté religieuse est indivisible. Les Etats-Unis, en adoptant en 1998 une loi sur la liberté religieuse dans le monde, en y affectant un ambassadeur itinérant, en constituant une commission interreligieuse pour faire rapport au Congrès, avaient à l’origine en vue plutôt les persécutions à l’égard des minorités chrétiennes. Mais on n’est jamais autant plus écouté que lorsqu’on traite le problème dans toutes ses dimensions. Le moine Warithu prône une solidarité limitée aux seuls frères bouddhistes. Le message des grandes religions est au contraire d’être universel.
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