Pourquoi ne pas l’admettre ? Il y a une question spécifique des relations des chrétiens, et des catholiques particulièrement, avec le Front national. Celle-ci devient plus aiguë avec les données électorales récentes. Si l’on en croit les instituts de sondage, le vote des catholiques pratiquants en faveur de la formation de Marine Le Pen aurait été multiplié par trois, dimanche dernier. Certes, le socle central demeure solidement accroché à la droite dite classique, même s’il s’est effrité. Parallèlement, on observe un effondrement de ce même vote catholique en faveur de la gauche. Un barrage moral serait-il en train de tomber, celui qui isolait le Front national dans une sorte d’espace interdit, réservé seulement à des intouchables ? Une sorte de caste inférieure, avec laquelle il était malséant de se mêler, et même de converser.
On pouvait encore avoir cette impression la semaine dernière, en lisant l’entretien que l’archevêque de Lille avait donné à La Croix, avec une sentence qui tombait comme une condamnation sans appel : « On ne peut être catholique, c’est-à-dire universel, et xénophobe. » Cela n’a pas empêché la région de Mgr Ulrich de voter massivement Marine Le Pen. En tant que fidèle, il n’est pas interdit de se soucier du fossé d’incompréhension qui risque, du même coup, de séparer les évêques, ou une partie d’entre eux, avec des catholiques qui ne les comprennent pas et peuvent avoir le sentiment d’être ostracisés. Ce disant, je n’ai nullement l’intention de contester les convictions fortes qui se sont exprimées. Mais je peux souhaiter qu’elles s’expriment sur un mode qui tienne compte de la complexité des affaires publiques et des grands enjeux de société et de civilisation. C’est très évidemment le cas avec l’immigration, dont on ne peut résoudre les difficultés à coup d’impératifs catégoriques moraux, en ignorant les coordonnées singulières d’un phénomène considérable, avec les bouleversements qu’il provoque.
Et puis il y a aussi des modifications à l’intérieur du Front national, ne serait-ce qu’avec la sensibilité de la jeune Marion Maréchal-Le Pen, qui apporte une tonalité nouvelle au débat. Tout cela pour dire que le séisme politique nous atteint aussi, nous autres catholiques, qu’il faudra bien en tenir compte à l’avenir, ne serait-ce que pour mieux identifier nos choix et approfondir nos convictions.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 10 décembre 2015.
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