Une fois n’est pas coutume. Je voudrais confier l’embarras qui est le mien à la suite d’une invitation reçue hier. On me demande, en effet, et cela dans le cadre prestigieux d’un haut lieu spirituel de notre pays, de traiter le sujet suivant : « Comment rebâtir une nouvelle civilisation européenne ? » rien que cela ! Les organisateurs de ce colloque voué à l’Europe aujourd’hui, me portent une confiance qui m’honore mais qui m’accable en même temps. Sans doute, ont-ils choisi ce thème, puisqu’ils sont bien conscients qu’aujourd’hui le projet européen est en crise. Les politologues, notamment ceux qui sont particulièrement attachés à la construction européenne entreprise après-guerre dans le sillage d’un Jean Monnet et d’un Robert Schuman s’en arracheraient presque les cheveux. Ce qui se passe en Italie met en danger cette construction, la péninsule étant désormais dominée par des formations dites europhobes. Le bras de fer engagé à Rome ne concerne pas seulement un président attaché à l’Europe bruxelloise et des partis qui lui sont hostiles. Il oppose ce qu’on appelle les marchés aux révoltes populistes qui désignent dans Bruxelles la responsable de leurs malheurs.
Mais il n’y a pas que l’Italie ! Il y a aussi toute l’Europe centrale coalisée contre la Commission européenne, à propos de la question cruciale des migrants. Il y a aussi l’Allemagne de Mme Merkel déstabilisée pour la même raison. Emmanuel Macron paraît bien isolé avec son projet de relance de l’Europe, auquel s’oppose une conjoncture massivement défavorable. Comment, dans de telles conditions, me montrer égal au sujet qu’on me propose ? J’ai peur de me servir d’une échappatoire, celle qui consiste à le tirer par le haut, en me vouant aux plus nobles considérations sur l’esprit européen, tel que le définissait le philosophe allemand Kayserling. C’était déjà dans une situation périlleuse, celle de l’entre-deux-guerres. Comme mon ami Denis Tillinac, je pourrais expliquer comment « ma pensée, ma poétique, mon esthétique sont d’un Européen imprégné profondément par le Moyen Âge, la Renaissance, le classicisme, les Lumières, le romantisme et leurs suites modernes ». Mais passer ensuite au déminage des difficultés actuelles, ce sera une épreuve de force redoutable. J’ai encore trois mois pour creuser mon sujet. Trouverai-je les ressources et l’assistance pour triompher d’un pareil défi !
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 31 mai 2018.