Autre semaine, autre désastre pour la cause de la liberté religieuse plaidée devant les tribunaux. La semaine dernière, la Cour Suprême du Nouveau-Mexique a maintenu les pénalités infligées à Elaine et Jonathan Hughenin à Albuquerque parce qu’ils ont refusé de prendre des photos lors du « mariage » de deux femmes [Elaine Photography v. Willock]. Les Hughenin ont été accusés d’avoir violé une loi qui interdit certaines discriminations de la part des sociétés qui ont des relations commerciales avec le public, en l’occurrence une discrimination fondée sur « l’orientation sexuelle ».
Les Hughenin voulaient bien prendre des photos de tous les types de personnes, mais ils ne voulaient pas prendre de photos de deux hommes ou de deux femmes se tenant la main ou en train de poser des gestes signifiant une relation homosexuelle. Il est apparu clairement aux juges que, derrière le refus de prendre des photos lors d’un mariage de personnes du même sexe, il y avait une profonde aversion et une désapprobation de la relation homosexuelle, ce qui mettait les Hughenin en violation de la loi.
Les Hughenin ont invoqué la raison de la liberté religieuse, et une fois encore, l’argument a joué de la manière suivante : l’infraction réside dans le refus de reconnaître la légitimité de la relation homosexuelle et dans l’aiguillon du reproche qui est ainsi asséné au couple. La protection des couples de même sexe relève à présent du terrain moral, du terrain de la légitimité, et contre ces arguments, les Hughenin n’ont rien eu d’autre à opposer que des « croyances » religieuses.
Il faut nous demander : combien de fois devons nous renouveler l’expérience avant que ceux de nos amis qui plaident ces causes en arrivent à reconnaître qu’il ont sérieusement besoin de reconsidérer leur argumentation ? Mon ami Franck Beckwith m’a rejoint dans ces colonnes pour lancer cet appel : nous devons aller au-delà de l’allégation de croyance et trouver le raisonnement qui rendra notre position défendable, y compris devant ceux qui ne partagent pas notre foi. Dans cette démarche, nous rejoindrons également la pensée que Benoît XVI a cherché à rappeler dans son discours de Regensburg : « Ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu car « au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu » ».
Mais d’un autre côté, cette démarche pose également un défi lorsque nous revenons à la compréhension classique du socle moral de la loi : ceux qui veulent imposer des lois à d’autres doivent établir la justification qui permet d’outrepasser les jugements privés faits par des individus sur les choses qui rendent leurs propres positions légitimes et défendables.
Les Hughenin
Lorsque cette affaire est en jeu, par exemple, avec ces cas sur l’orientation sexuelle, nous tenons à signaler d’emblée que la loi ne donne aucune description claire de ce qu’elle veut interdire. Le terme « orientation sexuelle » est si abstrait qu’il peut inclure les relations sexuelles avec des animaux ou avec de jeunes enfants. Même les manifestations pour les droits des homosexuels sont réticentes à incorporer dans leurs rangs l’Association nord-américaine pour l’amour entre les hommes et les jeunes garçons (North American Man/Boy Love Association – NAMBLA) et autres pédophiles.
Les militants peuvent se replier sur l’affirmation selon laquelle « l’orientation sexuelle » doit être réservée aux « adultes consentants », mais cela ne répond pas à la question. Les pédophiles considèrent leur orientation sexuelle comme tout à fait légitime car, si la question est simplement celle du plaisir, un garçon de quinze ans sait ce qui lui procure du plaisir, comme toute autre personne. Le fait important est que même les partisans des droits des homosexuels admettent que certaines orientations peuvent être illégitimes.
Si un homme cherche à adopter, n’aurons nous pas de réserves à son endroit sur le fait de mettre entre ses mains des enfants s’il reconnaît être profondément engagé dans les relations sexuelles sado-masochistes ou confirmé dans la pratique de la pédophilie ? Ce qui veut dire : n’est-il pas parfaitement défendable de tirer certaines conclusions moralement néfastes sur « l’orientation sexuelle de quelqu’un » ? Et ces conclusions ne se traduisent-elles pas par des jugements défavorables dans la loi, tels que nier à cet homme le privilège de devenir un père adoptif ?
Mais si tout cela est défendable, il est alors clair qu’il n’y a aucune justification à une loi qui interdirait, de façon radicale, toutes les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle. Dans ce cas, il faut mettre au défi le législateur de préciser le sens et quel mal il veut interdire. Que vont-ils mettre à la place des discriminations fondées sur « l’orientation sexuelle » ?
Il n’y a pas de réponse plausible toute prête. Ce ne peut pas être qu’il est faux de trouver une faute dans « la manière selon laquelle les gens trouvent le plaisir de l’orgasme », parce que cette formule pourrait englober le viol ainsi que de nombreuses choses devant lesquelles même les gauchistes reculent. Il y a plusieurs années, on nous avait dit que cette affaire de sexualité était surtout une affaire de « goût personnel » et qu’il était impossible d’y porter des jugements moraux.
Pourtant, si c’est une affaire de goût, la demande est suffisamment contrée par le fait que les Hughenin ne partagent pas ce goût. Maintenant, s’il est question de porter un jugement, alors les Hughenin méritent d’entendre les raisons impérieuses qui justifient que la loi prétende qu’il n’y a rien de défendable ni de justifiable dans les convictions qu’ils ont relatives à la vie homosexuelle et au mariage de personnes de même sexe.
D’une manière analogue, nous voudrions demander que la loi expose quelles raisons elle a de rejeter comme intenables les raisons avancées par ceux qui rejettent la « culture contraceptive ». Refonder nos arguments peut commencer ici même, en rétablissant le sens des exigences morales qui doivent être respectées par tout ce qui a pour nom « loi ».
Hardley Arkes est professeur de jurisprudence au Collège Amherst. Son ouvrage le plus récent est « Contitutionnal Illusions & Anchoring Truths. The Touchstone is natural Law. » (qui pourrait se traduire en « Illusions constitutionnelles et vérités de fond. La pierre d’angle est la loi naturelle.”) Le volume II de ses conférences audio sur « Le chercheur moderne, premiers principes et loi naturelle » est disponible au téléchargement.
http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/another-disaster-for-religious-freedom-in-the-courts.html
Photo : Les Huguenin.
Pour aller plus loin :
- Affaire Ulrich KOCH contre Allemagne : la Cour franchit une nouvelle étape dans la création d’un droit individuel au suicide assisté.
- CEDH : Une régression de la liberté de conscience et de religion en Europe.
- Manifestations et menaces pour la liberté de réunion, la liberté des médias et la liberté d'expression
- "Obamacare", la sentence de la Cour Suprême : un désastre constitutionnel.
- Une nouvelle ère de liberté religieuse.