Un Archevêque "Romain" à New York - France Catholique
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Un Archevêque « Romain » à New York

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Certains lecteurs savent peut-être déjà que George J. Marlin et moi-même avons collaboré pour la prochaine publication d’un ouvrage intitulé Sons of St. Patrick : A History of the Archbishops of New York (Les enfants de Saint Patrick. Un historique des archevêques de New York).

Ecrire pour l’Histoire est un défi multiple — réunir les faits et, par-dessus tout, les interpréter, les comprendre. Alors que comprendre la plupart des dix hommes qui ont occupé le siège d’Archevêque de New York est assez simple, il n’en est pas de même pours quelques-uns. C’est le cas particulier du troisième archevêque, Michael Augustine Corrigan, qui tint le poste du 10 octobre 1885 à sa mort le 5 mai 1902.

Si on s’en tient à la lecture extensive de sources secondaires (nous avons eu aussi accès aux documents originaux disponibles aux Archives de l’Archidiocèse de New York), il semble que la plupart des historiens — principalement ceux ayant écrit sur Corrigan entre 1920 et 1990 — n’avaient pas de lui une très haute opinion.

Il n’existe pas de « biographie majeure » à son sujet, bien qu’un des ses successeurs immédiats, John Farley et/ou Patrick Hayes ait envisagé la rédaction d’un tel ouvrage (le nom de Farley apparaît comme auteur de la biographie de John McCloskey, prédécesseur de Corrigan), il existe dans les Archives [de l’Archevêché] un dossier intitulé « Éléments destinés à une biographie de l’Archevêque Corrigan »; mais il se peut que ce soient des documents préparés et soumis à « The Catholic Encyclopedia » ou autre organisme de référence aux environs de 1902.

Mais pour quelle raison les historiens plus récents ne se sont-ils pas épris de Corrigan ? Selon moi, la réponse est simple: cer archevêque était bien trop « Romain » (c’est le titre du chapitre que nous lui avons consacré).

Attention, le traiter de « Romain » n’était pas une allusion à ses études dans la Cité Éternelle où il suivit les premiers cours du Séminaire Nord-Américain de Rome. Il ne convient pas non plus de le traiter de « Romain » en raison de sa connaissance approfondie du Latin et de l’Italien. Il était « Romain » car farouche défenseur des prérogatives et des prises de position du Souverain Pontife, à plus forte raison pour suivre Léon XIII dans sa condamnation de ce qu’on appellerait « Américanisme ».

En fait, Corrigan avait une part de responsabilité dans la décision de Léon XIII de publier la lettre apostolique Testem Benevolentiae Nostrae (1899) adressée au Cardinal Gibbons, de Baltimore, où le Saint Père offrait une correction paternelle aux tendances de l’Église d’Amérique.

Le troisième Concile Pleinier de Baltimore (1884), présidé par Gibbons à la demande du Pape, avait débattu de certaines suggestions du Vatican au sujet de l’enseignement (de l’école primaire aux études supérieures), une véritable épine dans le pied de Rome. Le Concile avait reçu du Vatican des consignes (accompagnées des textes appropriés) pour lancer la construction d’écoles paroissiales dans tous les diocèses.

Mais au cours des discussions, certains évêques hostiles au système d’écoles catholiques soutenaient que l’intégration des catholiques à la vie en Amérique (la population était alors majoritairement dominée par les immigrants) serait rendue difficile par un système scolaire catholique séparé. Ces évêques n’appréciaient guère la sorte d’enclaves ethniques s’étant constituées dans les grandes cités, et ils étaient particulièrement opposés aux paroisses « ethniques » où des curés d’origine allemande ou italienne, par exemple, prononçaient leurs homélies dans leur langue natale. Ils considéraient que l’Église était mieux mise en valeur en soutenant une politique progressiste.
Corrigan, jouant un rôle important au Concile de Baltimore, sentait que tout l’accent sur l’intégration et l’assimilation avait un caractère hérétique car plaçant la culture Américaine au-dessus de la doctrine catholique. Ceux qu’on appela « Américanistes », le Cardinal Gibbons, John Ireland, évêque de Saint Paul, et bien d’autres, soutenaient qu’ils cherchaient un équilibre entre la vérité et l’identité du Catholicisme et les réalités d’une plus large société.
Ils se disaient ainsi les successeurs d’Isaac Hecker (1819 – 1888), converti, fondateur des Pères Paulistes. Selon lui, les idéaux Américains avaient leurs racines dans la culture chrétienne, et cette culture Américaine était une protection idéale pour la pratique et la prolifération du catholicisme.

Mais alors, et à présent, la question (posée avec pertinence par notre ami Russel Shaw) était, est : « Jusqu’à quel point les catholiques Américains peuvent-ils se permettre d’être Américains sans compromettre leur identité de Catholiques?»

Pour sa part, Michael Corrigan restait farouchement hostile à l’Américanisme, et — l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs — une haine farouche fut sa récompense ; on le traita de paranoïaque, malhonnête, croyant en une « hérésie fantômatique ». En fait, c’était un incorruptible et, chose surprenante pour un archevêque, un homme d’une grande sainteté.

Mais il avait l’audace d’approuver le Pape Léon XIII qui, après avoir reconnu dans sa lettre apostolique Testem Benevolentiae Nostrae que la foi s’est toujours adaptée aux nouvelles cultures, condamne pour autant l’idée que l’Esprit oriente les individus vers des adaptations contraires à l’autorité pontificale et au Magistère.

« L’Église véritable — écrit-il — est une : tant par l’unicité de sa doctrine que par l’unicité de son gouvernement, et elle est également catholique. Dieu ayant placé le centre et la base de son unité sur la chaire du Bienheureux Pierre, c’est à juste titre qu’on l’appelle Église Romaine.»

Ainsi fut condamné « l’esprit de l’Américanisme », et Corrigan eut raison — au moins quelque temps. Peu après, cette adaptation aux effets déstructurants de la démocratie tendrait les relations avec Rome, éloignant la pratique Américaine de l’orthodoxie catholique, mouvement qui s’est amplifié depuis Vatican II.

Tout cela étant dit, retenons (ironie du sort) que le Troisième Concile Plenier, signe de « libération » en faveur de l’Américanisme a fait aux catholiques conservateurs un immense et durable cadeau : un guide de la foi catholique portant le nom de la cité où fut tenu ce concile. Oui, c’est bien le « Catéchisme de Baltimore. »

Source : New York’s “Roman” Archbishop

Portrait de Mgr. l’Archevêque Corrigan – par Joseph Sundwall, 2011.