A trois mois des élections européennes, un groupe de travail du parlement européen vient de remettre son premier rapport sur la liberté religieuse et de conviction dans le monde. L’inspiration et les sources sont américaines : une loi de 1998 avait mis sur pied une commission indépendante sur la liberté religieuse internationale et créé un poste d’ambassadeur itinérant sur cette question au sein du département d’Etat, avec publication d’un rapport annuel collecté par les ambassades américaines dans le monde. Partant des exemples canadien et français – où un « pôle religions » avait été créé en 2009 au sein du ministère des Affaires étrangères par M. Kouchner -, le groupe de travail européen suggère que cette préoccupation devienne un axe du service diplomatique européen créé par le traité de Lisbonne et actuellement dirigé par Mme Ashton. Le Conseil des ministres des affaires étrangères avait d’ailleurs adopté en juin 2013 une directive dans ce sens.
Tout comme la commission américaine, le groupe de travail parlementaire identifie quinze pays de préoccupation majeure dans le monde. Dix sont communs (Chine, Corée du Nord, Iran, Irak, Egypte, Pakistan, Ouzbékistan, Nigeria, Arabie saoudite, Erythrée). Les Européens ont ajouté la Libye, la Syrie, la Tunisie, le Mali et l’Inde. Les Américains avaient retenu de leur côté le Vietnam, la Birmanie, le Tadjikistan, le Turkménistan et le Soudan. Les différences d’appréciation semblent s’expliquer par le décalage chronologique. Le dernier rapport américain datait d’avril 2013. Le prochain est attendu dans deux mois et sans doute a-t-il été actualisé en fonction des derniers conflits. Les Européens s’appuient en outre sur le rapport de l’organisation américaine Pew Forum qui a rendu son cinquième rapport en janvier 2014 où notamment l’Inde est pointée, ce qui permet de dire que les atteintes à la liberté religieuse sont en augmentation, les pays identifiés représentant 76% de la population mondiale contre 68% dans le précédent rapport.
Ce copié/collé ne gomme pas les évidentes nuances entre les deux rives de l’Atlantique concernant la dimension religieuse de la diplomatie. Entre une Europe de tradition majoritairement catholique mais fortement sécularisée et l’Amérique de fondation religieuse mais de « culture » protestante, les points de départ étaient fort éloignés. Ils se sont rapprochés.
En effet, depuis l’élection d’Obama, en 2008, le dispositif américain a perdu de sa virulence. Le poste d’ambassadeur itinérant qu’il avait mis plus de deux ans à pourvoir – par la première femme pasteur baptiste noire – est à nouveau vacant depuis quatre mois. Le hasard des nominations fait que la Commission indépendante de neuf membres (un tiers par le président, les autres tiers par le Congrès – majorité et minorité dans les deux Chambres) est aujourd’hui composée de quatre juifs – qui aux Etats-Unis ont toujours été à la pointe de la liberté de religion -, de deux arabes (un chrétien, un musulman), d’un pasteur baptiste noir et de deux catholiques, tous deux républicains (Mme Mary Ann Glendon, ex-ambassadrice des Etats-Unis au Saint-Siège qui avait démissionné à l’élection d’Obama – elle fait partie de la Commission nommée par le pape François sur l’Institut financier du Vatican ; Robert P. George, professeur de droit, inspirateur du courant dit « théoconservateur »).
A l’inverse, les Etats européens les plus séculiers ont pris conscience d’une sorte de déficit culturel vis-à-vis des religions et ont commencé à reconnaître leur importance dans le reste du monde. Après le débat controversé sur les « racines chrétiennes de l’Europe », un consensus entre laïques et religieux, comme aux Etats-Unis entre libéraux et conservateurs, semble s’être réalisé autour des enjeux internationaux de la liberté de religion et de conviction (ce dernier terme visant la liberté de pensée, la référence double étant bien celle de la déclaration universelle des droits de l’homme et de tous les documents subséquents mais oubliée dans le libellé de la Commission américaine).
Le groupe de travail du Parlement européen ne peut évidemment pas prétendre à l’équilibre politique et religieux qui préside à la Commission indépendante américaine. Il n’a été créé qu’en décembre 2012 au sein de la Commission des Affaires étrangères, sous-commission des droits de l’homme. Il ne rassemble que dix-sept députés (sur 766) qui proviennent néanmoins des six familles politiques représentées au Parlement, de la gauche à la droite, des européistes aux eurosceptiques. En revanche, ils sont élus de seulement treize des 28 Etats membres. Il n’y a ni français, ni belge, ni allemand, ni espagnol, ni anglais ! Mais trois irlandais (dont une unioniste d’Ulster), trois hongrois (dont deux pasteurs calvinistes représentant la minorité magyare de Transylvanie, élus de Roumanie), deux polonais, un lithuanien, un croate (depuis l’accession de ce pays). Au total environ une moitié de catholiques, quatre calvinistes (dont le coprésident, seul élu d’un parti Réformé traditionnaliste néerlandais, « l’Union chrétienne »), un orthodoxe (du parti d’extrême-droite grec LAOS, qui compte deux élus au parlement européen), deux nordiques de tradition luthérienne (un centriste et une « verte »), et deux socialistes, un italien et un autre néerlandais, à l’autre opposé de l’échiquier politique dans ce pays que son collègue conservateur, mais partageant avec ce dernier la co-présidence du groupe comme un symbole hautement paradoxal.
Ce groupe symbolise la diversité religieuse de l’Europe ou plutôt certaines de ses excroissances historiquement les plus conflictuelles (Irlande du nord, Transylvanie, Grèce, voire Pays-Bas). Ce n’est peut-être pas un mauvais départ pour sympathiser avec d’autres situations de ce genre à travers le monde. Quant à traduire cela en action diplomatique il y a encore un grand pas à franchir. On verra ce que deviendra cette initiative dans le nouveau parlement élu en mai prochain et si des élus de grands pays rejoindront le mouvement. Il ne faudrait pas qu’elle reste le fait de marginaux ou de périphériques par rapport au cœur de l’Europe et de sa diplomatie.