Impossible de n’avoir pas suivi les événements qui, ces jours derniers, ont totalement bouleversé les institutions de l’État, en Ukraine. C’est un peu analogiquement comme si nous avions suivi en direct, grâce aux moyens modernes de communication, les étapes de la Révolution française, avec l’ébranlement d’un socle qui finit par s’écrouler. Mais l’analogie n’est pas vraiment pertinente ou satisfaisante, car le socle constitutionnel ukrainien n’était nullement enraciné dans l’histoire. Il était récent, fragile, et n’avait cessé dans sa courte existence de manifester la difficulté de réaliser l’unité du pays et la fondation d’un État de droit, ne serait-ce qu’en raison d’une tentation à la corruption de la classe politique.
Mais si l’éclatement de l’Union soviétique était récent, la nouvelle Ukraine, qui en était issue n’en était pas moins l’héritière du temps long de l’histoire qu’il lui fallait assumer, en surmontant les divisions anciennes et en conciliant les données hétérogènes de son patrimoine. N’est-ce pas, d’ailleurs, à cause de cette contradiction, que la dernière crise est née et n’a cessé de s’amplifier ? J’avais signalé, ici-même, la pétition des intellectuels français, à l’initiative de Bernard Marchadier et d’Alain Besançon qui attirait l’attention sur le caractère singulier d’un pays, qui se devait d’assumer son double ancrage à l’Est et à l’Ouest. Il est tout à fait impossible à la nation ukrainienne d’oublier tout ce qui la rattache à la Russie et, en même temps, l’appelle à tisser de nouveaux liens avec l’Europe occidentale. À moins, et c’est un risque sérieux, de se résigner à la dissociation du pays et à la fin du projet ukrainien.
Il semble que personne ne s’y résigne. Toutes les déclarations recueillies hier s’opposaient à la scission. Aussi bien du côté américain que du côté d’Angela Merkel, ou encore du côté de Vladimir Poutine. L’unité est au prix d’une reconstitution rapide d’un État doué de tous les attributs de la légitimité. C’est pourquoi il faut faire tous les vœux pour que dans les jours qui viennent le civisme et la passion du bien commun permettent la refondation politique, condition de la restauration plénière de l’unité ukrainienne.
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 24 février 2014.