Beaucoup en doutaient après diverses interprétations contradictoires d’un supposé isolationnisme et l’écho de luttes intestines au sein de l’entourage. Rien de plus normal après moins de cent jours d’une présidence sans aucune expérience et sans précédent. On alléguait des sentiments personnels, sinon passionnels, entre Donald Trump et Vladimir Poutine et inversement des diatribes populistes contre la Chine. Comment être à ce point victime de campagnes mé- diatiques qui ne s’arrêtent qu’à l’écume des choses ? En quelques jours, la diplomatie a repris ses droits. Exit les provocateurs des médias au sein de l’équipe Trump (Steve Bannon). Exit les obsédés du déficit commercial brut tous azimuts. On rentre dans le jeu complexe des rapports de puissances.
Un duopole américano-chinois s’impose. États-Unis et Chine sont définitivement les deux premières puissances du globe. Arrêtons de faire en sorte qu’ils s’en veuillent l’un l’autre. Voyons sur quoi ils peuvent s’entendre pour conduire le monde. Tel est le raisonnement qui a prévalu les 6 et 7 avril à Mar-a-Lago entre Donald Trump et Xi Jinping. Le second mène le jeu pour le moment. Le 17 janvier à Davos, à trois jours de l’investiture du premier, il avait fait savoir à la finance internationale que Pékin était prêt à prendre la relève de Washington pour la conduite de l’ordre multilatéral du monde. Si l’administration Trump coupait les fonds des Nations unies et de la Banque mondiale, la Chine était dis – posée à combler les déficits jusqu’à ce que l’on évoque le transfert des sièges de ces organisations hors Amérique. Pékin avait de toute façon créé des institutions alternatives auxquelles chacun, sauf États-Unis et Japon, se faisait un devoir d’adhérer. Le message a été reçu cinq sur cinq.
Donald Trump a en outre montré qu’il avait compris – sur le conseil de Kissinger ou de ses disciples ? – qu’il n’est pas inutile d’avoir dans sa manche un atout chinois quand on veut jouer avec la Russie. La présence de Xi Jinping à Mar-a-Lago la nuit même (6 au 7 avril) où furent lancés les 59 Tomahawks sur la base syrienne de Shayrat était sans doute une coïncidence, mais elle est instructive. Pékin a toujours suivi Moscou au Conseil de sécurité sur les résolutions syriennes – parfois en se contentant de s’abstenir, le plus souvent en se joignant au veto russe – mais sans conviction affichée. Cette fois, son silence était assourdissant. D’ores et déjà le plateau a changé, comme l’indique la réception à la Maisons-Blanche du maréchal égyptien Sissi (3 avril) – il n’avait jamais été reçu par le président Obama – et du roi de Jordanie (5 avril)…
On remarquera encore que Xi Jinping est allé de Chine en Floride via la Finlande où il a effectué une visite officielle et l’Alaska où il a pris le temps de voir le gouverneur. Il a donc longé les frontières occidentales et nordiques de la Russie, ne serait-ce que pour rappeler que Pékin ne se désintéresse pas de l’avenir de l’Arctique où elle ne laissera certainement pas Moscou agir unilatéralement. La Chine est aussi une carte entre États-Unis et Russie.
Donald Trump a également besoin de Pékin sur le dossier coréen. Il vient d’envoyer un porte-avions nucléaire vers la péninsule coréenne. Une frappe punitive, quelle qu’en soit l’efficacité réelle, ne saurait se concevoir sans un aval passif de Pékin. Le pouvoir chinois protestera d’autant plus fort qu’elle y aura été discutée au moins par défaut entre Donald Trump et Xi Jinping. Reste toutefois à élaborer entre eux deux une sorte de feuille de route, un scénario de sortie de crise. Improbable mais pas impossible. La Russie est sur ce dossier, en bon chasseur, à l’affût, mais largement inopérant.
Rompant avec la tradition de l’Empire immobile, Xi Jinping a eu raison de faire le premier pas et d’aller chercher Trump sur ses terres. Il l’a ainsi obligé à choisir plus tôt que prévu entre plusieurs lignes entre lesquelles il hésitait. Il a provoqué la décision.
Qui peut dire ce qu’aurait fait Trump si Xi ne s’était pas annoncé ? Pouvait-il rester l’arme au pied face à ce que l’autre aurait regardé comme une humiliation ? Pouvait-il perdre la face ?
Xi, de son côté, avait besoin d’être sûr de son fait avant d’aborder le Congrès du Parti communiste chinois qui doit confirmer le renouvellement de son mandat. Selon la tournure de l’entrevue, l’une ou l’autre stratégie s’avérerait privilégiée. Il fallait savoir quel discours tenir. Les déficits commerciaux attendront. Le sort du monde est ailleurs.
Frappe US en Syrie : la nuit des dupes masquait un joli de coup de billard
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