Sommes-nous vraiment en guerre idéologique ? Une guerre à prendre d’autant plus au sérieux qu’elle correspondrait à des mouvements de société très réels, à des enjeux politiques directs. Il est, en effet, patent que des échanges d’idées ont lieu en ce moment, à propos de sujets extrêmement brûlants et qu’ils correspondent à des clivages très aigus. La presse rend compte de cette guerre, souvent avec des titres provocants, qui renforcent le sentiment d’une opposition irréductible. Je le dis tout net : autant je trouve légitimes et souvent intéressantes les polémiques actuelles, autant il me déplaît que certains excès conduisent à faire croire que nous serions près de revivre les tentations des années trente. On nous parle ainsi de « révolution conservatrice », comme si la France de 2016 se trouvait quasiment dans les convulsions intellectuelles qui ont préparé l’avènement du nazisme.
Je connais et j’estime l’historien des idées qu’est Daniel Lindenberg, mais je ne puis que lui signifier mon désaccord, alors qu’il réédite son brûlot paru en 2002 sur « les nouveaux réactionnaires ». Je comprends tout à fait qu’il signifie son désaccord avec des intellectuels qui ne sont pas de son bord. Mais refuser par principe toute remise en cause de la pédagogie scolaire et donc des réformes de Mme Vallaud-Belkacem, toute interrogation sur les difficultés d’assimilation des populations immigrées, toute réflexion sur l’islam ou plus généralement sur le sens de la modernité, c’est imposer une sorte de philosophie obligatoire, hors de laquelle il n’y aurait que le fascisme.
Je suis persuadé, quant à moi, qu’il y a un débat intellectuel nécessaire et même indispensable, qui doit implicitement s’ordonner selon des règles déontologiques, ce qu’Habermas appelle l’éthique de discussion. Ainsi, dans le dernier numéro du Point, Alain Finkielkraut et Alain Juppé peuvent-ils échanger courtoisement leurs arguments et permettre de distinguer nettement accords et désaccords. C’est Jacques Maritain qui parlait de l’intérêt de définir de bons désaccords, c’est-à-dire des divergences franches, à l’opposé des désaccords qui reposent sur des malentendus, voire des exagérations polémiques.
Puisse notre guerre idéologique faire apparaître de bons désaccords qui nous permettent de décider finalement, en nous fiant à de solides repères.