La chrétienté a apporté trois nouvelles vertus à l’ancien monde gréco-romain : la chasteté, l’humilité, et l’amour du prochain. Sans elles, la vie dans notre monde occidental eût été fort différente.
1/ Avant la chrétienté, la chasteté avait été une vertu — vertu exclusivement féminine. On attendait des hommes qu’ils fussent raisonnables dans leur vie sexuelle, mais pas vraiment chastes. On n’aurait pas reproché à un homme de forniquer ou de fréquenter un bordel ; et guère plus s’il commettait l’adultère ou avait des relations homosexuelles avec un esclave. Mais s’il négligeait ses obligations militaires ou politiques au profit d’une affaire d’adultère — alors on lui en faisait reproche.
Par contre c’était la grande honte pour une femme célibataire de perdre sa virginité et pour une femme mariée d’avoir des relations sexuelles avec un autre homme que son mari — sauf à Sparte, où les femmes avaient le droit de commettre l’adultère en vue d »accroître la population de la Cité. Lucrèce était une Romaine exemplaire. Elle était tellement chaste qu’elle se suicida plutôt que vivre avec la honte d’avoir été violée.
Aussi, lorsque le christianisme fit de la chasteté une vertu, il ne s’agissait pas vraiment d’une nouvelle vertu dans le monde. C’était plutôt l’extension à tous de ce qui était essentiellement une vertu féminine. La chasteté était désormais une vertu masculine tout comme féminine. Une nouveauté.
Malgré les prétentions des féministes actuelles pour qui la chrétienté, spécialement la chrétienté dans le catholicisme, est une religion masculine (una religion patriarcale), on plaidera aisément que la chrétienté est une religion fortement féminisée. Une religion qui promeut la chasteté, vertu féminine, au rang de vertu universelle, et, de plus, très grande vertu, sera difficilement qualifiée de religion masculine.
2/ L’humilité existait dans le monde avant la venue du christianisme. Mais pas en tant que vertu. C’était simplement l’attitude attendue d’un esclave. Esclave (l’esclavage était fort répandu dans le monde Gréco-Romain), vous étiez un être inférieur, au bas de l’échelle sociale. Vous aviez un statut humble et, à moins d’être totalement inconscient, vous adoptiez une attitude conforme à votre statut. Sans humilité dans votre attitude, vous étiez un poison envers vos supérieurs, ou bien vous en étiez la risée.
La chrétienté a transformé l’humilité, attitude propre aux esclaves, en une vertu ; non pas une vertu propre aux esclaves, mais une vertu universelle, propre à toutes les personnes, même aux plus élevées socialement. Les riches, les aristocrates, et même les empereurs devaient, selon le christianisme, être humbles. Vous pouviez bien être un homme ou une femme d’importance devant les autres Grecs ou Romains, vous n’étiez rien devant Dieu. L’écart de dignité entre Dieu et les humains était si large (en fait, infini) que les écarts mesurables en dignité entre les classes supérieures et inférieures ne comptait guère. Le Chrétien n’était ni plus ni moins que l’esclave de Dieu. Et les esclaves doivent pratiquer l’humilité.
3/ À l’ère pré-chrétienne les gens étaient supposés aimer leurs voisins, leurs concitoyens. Mais c’était un amour fondé sur la réciprocité. : je veux bien être généreux à ton égard pourvu qu’en retour tu sois généreux envers moi. Mais la chrétienté a introduit une nouvelle forme de générosité, sans attente de réciprocité. De vous, chrétiens, on attendait de la générosité sans espérer être payé en retour. Bien sûr, vous pouviez mériter votre récompense au Paradis, mais, sur terre, vous faisiez du bien à autrui sans attendre de récompense. Formule idéale : une nouvelle vertu chrétienne, la Charité.
Dans les sociétés modernes, comme par exemple aux États-Unis, où la déchristianisation progresse à grands pas, on pourrait bien s’attendre à constater un déclin de ces trois anciennes vertus chrétiennes. Et c’est bien ce qui se passe.
Sauf en un un relativement petit nombre de cas ici et là, la chasteté a cessé d’être une vertu. Les mœurs dominantes actuelles y sont opposées : libération sexuelle. Libération promue presque partout : dans les médias, les établissments scolaires, les facultés (un exemple : la faculté où j’enseigne distribue gratuitement des préservatifs), et, par-dessus tout, dans le monde du spectacle. Certes, la prudence sexuelle est encouragée : ne transmettez pas de maladies, ne « tombez » pas enceinte [NdT : l’affreuse expression hélas si courante en France !] à moins de le désirer. Mais la prudence sexuelle, méritoire d’une certaine manière, n’a rien à voir avec la chasteté. À présent, les Américains sont au moins aussi peu chastes que les anciens avant la venue de la Chrétienté.
La vertu d’humilité n’a pas autant que la chasteté disparu de la société moderne, ce qui ne saurait tarder. L’humilité est une vertu de bien moindre importance si ce n’est dans une profonde croyance en Dieu, et comme la croyance collective en Dieu va s’amenuisant, il en est de même de l’importance de l’humilité. On enseigne aux enfants à se sentir « fiers d’eux-mêmes », en imaginant qu’un niveau élevé de fierté (ou d’estime de soi, comme on dit actuellement) mènera au succès. On assiste à des parades « Gay Pride » [NdT : Pride = Fierté] chaque été dans les grandes villes Américaines [NdT : pas seulement américaines !]. On considère de plus en plus souvent que l’humilité n’est pas une grande vertu, mais une affligeante tournure d’esprit.
On admire encore l’amour désintéressé du prochain — peut-être une preuve que la morale chrétienne n’a pas encore totalement disparu du monde. Mais là encore, on constate un déclin. Beaucoup d’entre nous ont reconsidéré l’amour du prochain comme une sorte de tolérance. Je prouve mon amour pour mon concitoyen en tolérant que ses actes ou ses paroles, quels qu’ils soient, ne portent pas un préjudice sensible à autrui. Bien sûr, ce genre de tolérance n’est pas sans mérite, mais de là à l’appeler « charité chrétienne »…
À quoi va ressembler une société sans ces vertus chrétiennes ? L’affaire est déjà fort engagée, et ce n’est guère réjouissant.
26 août 2016.
Portrait d’une femme inspirée par Lucrèce – Lorenzo Lotto, vers 1533 (National Gallery, Londres).
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/08/26/the-fading-of-three-christian-virtues/
En Allemagne, les mères seront obligées d’avouer quand un enfant est né d’une relation extra-conjugale
http://www.20minutes.fr/monde/1914827-20160829-allemagne-meres-obligees-avouer-quand-enfant-relation-extra-conjugale
Pour aller plus loin :
- Dignitatis Humanae. Une leçon pour un monde en voie d'extinction
- Affaire Ulrich KOCH contre Allemagne : la Cour franchit une nouvelle étape dans la création d’un droit individuel au suicide assisté.
- Sommes-nous en mesure de flotter dans l'espace ?
- Cercle d'étude sur la bio-extinction, première approche.
- Les vertus de la réforme