« Dieu m’est doux, parfois, et je suis portée par Lui comme un petit nuage par le temps bleu, comme un duvet par une brise… Mais, parfois, Dieu m’est terrible, quand je n’aperçois plus en Lui ni visage, ni cœur, ni Fils, ni Père, rien que cette nuit sans bornes, cette hauteur de ténèbres sans degrés où j’ai la respiration coupée. » Ces lignes tirées des Notes intimes de Marie Noël − le journal spirituel qu’elle écrit entre les années 20 et 40 − résument le combat de sa vie : quitter l’image du Dieu de la peur, pour déblayer l’image du Dieu d’amour. On le comprend dès l’exergue du livre, avec ces deux citations de Job et d’Isaïe : « Pourquoi Seigneur m’avez-vous mis en opposition avec vous ? » (7, 20) et : « Jéhovah a répandu sur moi l’esprit de vertige qui soulève les scrupules et les doutes » (9, 14). Ce combat qui traverse sa vie plonge ses racines dans son enfance.
Une enfant hypersensible
Marie Rouget, de son vrai nom, est issue d’une famille très cultivée. C’est une enfant hypersensible : tout la touche, l’émeut, la blesse. Une sensibilité à la hauteur de sa vive intelligence. Son père, agrégé de philosophie, est un agnostique rationaliste. Nous sommes en pleine IIIe République anticléricale. À l’inverse, sa grand-mère et sa mère sont croyantes, et lui transmettent leur foi, marquée par le jansénisme : « Ce sont les prêtres de Paris qui l’ont libérée de ça », explique le Père Gilbert Chauvin, son dernier confesseur, de 1960 jusqu’à sa mort en 1967. Ce qu’elle confirmera elle-même plus tard, en écrivant dans une lettre à propos de l’abbé Mugnier, son grand guide spirituel et littéraire : « Il me guérit de l’effroi de Dieu et encore plus de l’Église. Il me rendit la liberté. Il me permit d’aimer tant que je pouvais… » Marie est le fruit de cette lutte qui, dans son âme ardente, prend une intensité extrême : « Toute ma vie n’aura été qu’un combat entre la Lucidité et l’Amour. Chaque fois que l’Amour l’emporte, il se fait en moi une lumineuse joie. Chaque fois que l’intelligence l’emporte, un calme désespoir. » Elle est parfaitement lucide sur cette épée qui la divise… « Sa poésie est empreinte de ce dilemme. C’est une œuvre éclairée à la fois par une ferveur naïve et l’immersion dans la nuit obscure », constate l’écrivain Alain Vircondelet qui a organisé un colloque sur Marie Noël à l’Académie catholique, fin janvier à Paris, avec la poétesse Nathalie Nabert.
Un nom de plume trempé dans les larmes
Cet écartèlement est exacerbé lorsqu’elle retrouve son petit frère Eugène mort dans son lit au lendemain de Noël, en 1904. Elle a 21 ans et elle entend sa mère hurler pendant des semaines. C’est en hommage à ce frère chéri qu’elle prendra Noël comme nom de plume. Un nom trempé dans les larmes… Peu de temps après ce drame, elle évoque de manière pudique un chagrin d’amour avec le départ d’un garçon qu’elle avait secrètement aimé : « Mon bien-aimé passa voilé de rêverie, / L’âme ailleurs, / Sans me rien dire hélas ! Sans me voir et j’en meurs » (Les Chansons et les Heures). Elle ne se mariera jamais. La solitude et le silence seront les fidèles compagnons de sa vie.
Une vie qui sera comme une longue montée vers Noël. La question du Mal, de la souffrance et de la mort la tourmente. Elle en demande des comptes à Dieu : « Ah ! Si Vous aimiez tant les morts, pourquoi donc avez-Vous créé les vivants ? », se plaint-elle dans ses Notes intimes. C’est une réelle nuit de l’âme qu’elle exprime dans son grand cri poétique : « Tous les saints ont été dévorés par Dieu, détruits – humainement – par Dieu. Et moi qui ne suis pas sainte, mais tant livrée depuis dix ans aux combats presque sans espoir de l’espérance, je sais bien que Dieu est Grâce, mais que Dieu est aussi tourment » (Notes intimes). Mais l’espérance et la confiance en Dieu ne la quittent jamais : « Lutter obscurément, patiemment, humblement, silencieusement pour la divinité de son âme, c’est sauver le monde » (NI).