Fête du travail, 1 ce lundi 3 septembre marque la fin des vacances d’été et la reprise du travail. Lors des années d’élection présidentielle c’est également considéré comme la fin de la « période stupide » et le début de la véritable campagne. Ou, peut-être, le début d’une autre forme de « période stupide ». Difficile à dire, tout dépendra des candidats.
La création de cette fête avait un motif politique. En 1894 le Congrès a travaillé au galop, légiférant en seulement six jours pour déclarer que le premier lundi de septembre serait férié pour toute la nation — sortie d’une grève à Pullman, Illinois, qui avait paralysé tout le trafic ferroviaire. Le Président Grover Cleveland et les législateurs craignaient une reprise des troubles dans la population laborieuse.
Le Premier mai, date du mouvement international du travail, teinté de socialisme et de communisme, étant écarté, honorer la contribution des travailleurs était une façon bien américaine de reconnaître l’importance fondamentale du monde du travail dans l’Histoire de notre pays.
En nos temps modernes l’Église et les papes ont dit et répété la dignité du monde du travail. Mais il y avait aussi une ambiguïté au sujet du travail manuel — parfois désigné comme « travail servile » — dans la tradition catholique. Dans les catéchismes précédant Vatican II, le travail servile était le genre de travail à ne pas effectuer le dimanche, jour biblique de repos que seul « Chick-fil-A » 2 semble respecter dans le secteur public.
L’ambiguïté provenait de l’idée que la méditation — « Arrêtez, connaissez que moi je suis Dieu » (Ps 46, 11) — est la plus haute forme d’activité humaine. Ce qui n’est pas propre exclusivement au catholicisme. On trouve la même idée chez de grands païens, tels Platon et Aristote. Et cette idée a été relancée puissamment dans l’un des plus grands ouvrages du XXe siècle: « Loisir, base de la culture » par Joseph Pieper. Si vous avez envie de découvrir la profondeur de sa pensée, n’hésitez pas à entamer la lecture de ce petit livre.
Mais après l’avoir lu et relu maintes fois, j’ai ressenti un léger malaise avec sa recommandation (compréhensible car proférée à l’issue de la seconde guerre mondiale) de ne pas se concentrer sur l’activité manuelle.
Les gens, pour la plupart, consacrent leur temps d’éveil au travail. Ne pas reconnaître — ne pas intégrer — ce fait au plus profond de notre spiritualité écarte largement l’homme du domaine catholique. Ce peut être pourquoi, contrairement aux Américains, les travailleurs en Europe furent parmi les premiers à déserter l’Église. Et il est clair que Jean-Paul II, ayant travaillé de ses mains dans sa jeunesse, a identifié et cherché à corriger ce problème (à lire: l’Encyclique « LABOREM EXERCENS »).
En quoi tout cela nous concerne en septembre 2012? Un tas de sujets.
Nous sommes en pleine campagne présidentielle hideuse, et qui va empirer. Au lieu de réflexions approfondies de notre tradition catholique sur le travail, le loisir et la méditation, nous allons entendre le Président Obama nous seriner sans cesse « ce n’est pas vous qui avez construit ça.», façon idiote de dire qu’aucun de nous n’est intégralement un « self-made man ». La thèse des Républicains sur l’initiative individuelle et la fierté dans le travail est plus proche de la réalité, mais bien éloignée d’autres vérités importantes.
Je pense que Marco Rubio 3 a été le seul — peut-être aussi S.E. le Cardinal Dolan — à nous rappeler que c’est Dieu la source de ce que nous avons : « Si le Seigneur ne construit pas la maison, alors les bâtisseurs travaillent en vain.» Ce n’est pas une simple citation des Écritures effleurée à de rares occasions. Elle dit bien ce qu’elle veut dire, ou alors elle est insensée — tout comme l’enseignement de l’Église catholique sur la grâce.
Les catholiques peuvent à juste titre rejeter des éléments non essentiels en cette période de campagne électorale. Et nous devrions pouvoir le faire sans stigmatisation mutuelle. J’ai personnellement tenté de le faire la semaine dernière en un débat avec Sœur Simone Campbell, chef de file des « Nuns on the Bus » 4, animé par le journaliste Bill Moyers. Je vous déconseille de lire quoi que ce soit à ce sujet, sauf si vous avez un besoin urgent de faire monter votre tension artérielle.
J’ai reçu deux menaces, et des douzaines de courriels hargneux comme je n’en ai jamais reçus en vingt-cinq ans d’activité publique consacrée au catholicisme. Certains émanant de catholiques se croyant bien informés et aptes à juger — une de leurs sornettes — de l’affligeante condition de mon âme, alors qu’ils ne m’ont jamais vu (je pourrais leur donner encore bien du grain à moudre, sans toucher à ma position sur les pauvres et le budget fédéral).
Ceci m’a fait penser davantage à la condition de millions de gens rejetés au bord du chemin dans cet abominable monde économique. Et il n’y a rien de changé à mon opinion qu’il y a une impérieuse nécessité de croissance économique afin qu’il n’y ait plus besoin d’apporter de l’aide au pauvres, mais qu’ils puissent revenir dans ce que Jean-Paul II appelait « le cercle de production et d’échange » auquel appartiennent tous ceux qui sont aptes à gagner leur pain.
Mais j’ai aussi dû réfléchir à la voie que « The Catholic Thing » devra suivre ces deux prochains mois. Nous avons des projets intéressants. Le premier à voir le jour sera une série d’essais par George Marlin, complétant l’analyse qu’il a effectuée dans son livre « The American Catholic Voter. Two Hundred Years of Political Impact » 5. George portera son regard sur certains États-clés 6 commençant par le Wisconsin; il vous exposera un avis succinct appuyé sur la démographie — et la part catholique — pesant sur le choix de notre prochain président qui s’installera en janvier 2013.
Le format de ces essais dépassant largement le cadre de « The Catholic Thing », vous pourrez en lire ici des extraits ; leur publication intégrale paraîtra sur notre autre site Complete Catholicism, que je vous suggère de visiter régulièrement. Vous apprécierez.
Mais j’ai aussi réfléchi au ton que nous devrions employer — rédacteurs comme lecteurs — pendante cette hideuse campagne. Sœur Simone et moi-même étions courtois l’un envers l’autre, comme l’ont constaté avec insistance quelques publications catholiques. Mais hélas les dés étaient pipés : sans m’en informer avant ma venue à New York, l’équipe de Moyers avait préparé une video émouvante quoique plutôt idéalisée de 24 minutes sur le travail des nonnes auprès des pauvres, diffusée juste avant notre débat.
Ce qui eut pour effet de me faire apparaître comme le méchant hostile au travail des sœurs auprès des pauvres et, en dépit de nombreuses dénégations, d’insinuer que je souhaitais que le budget soit à l’équilibre aux dépens des pauvres — l’équipe adverse n’était admise sur le terrain qu’après quatre buts marqués contre elle.
Dès le début de l’émission Sœur Simone annonça qu’elle prendrait la parole cette semaine à la Convention nationale du Parti démocrate. Pour moi, ce geste partisan de dernière minute montre que cette brave sœur n’est pas tout-à-fait innocente, ou ne comprend pas bien sa propre attitude en politique américaine. Les participants à l’émission ont été tout autant surpris.
Ainsi nous avons établi une règle du jeu pour nos publications ;
* – Une colère sainte et justifiée, ça existe, mais nous essaierons de tenir notre langue lors des débats à venir. Il devrait y avoir une façon — meilleure et catholique — de débattre autrement que ce qu’on voit sur la place publique. Nous n’y arriverons peut-être pas toujours, mais nous essaierons.
*- Nous ne prendrons pas parti en cachette. Mais nous ne cacherons pas notre sentiment que les questions relatives à la vie l’emportent sur toutes les considérations, pour cette élection comme pour toutes les suivantes. Nous sommes fidèles à Rome et à nos évêques dans l’opinion que les questions relatives à la vie ne se traitent pas sur le même plan que les questions de précautions.
*- Il reste bien de la place pour des désaccords. Samedi dernier, Joe Wood a traité sérieusement de l’apparition de S.E. le Cardinal Dolan aux conventions [Parti Républicain la semaine dernière, Parti Démocrate cette semaine]. Personnellement, je suis perplexe quant aux interventions du cardinal, mais il n’y a aucun parti pris au sein de « The Catholic Thing » si ce n’est d’être des Catholiques.
NDT: à la fin de l’article, Robert Royal lance un appel aux dons pour soutenir l’action de « The Catholic Thing ». La traduction de ces derniers paragraphes a semblé inutile. Toutefois, si certains lecteurs souhaitent participer, ils peuvent se rendre sur le site:
http://www.thecatholicthing.org/in_the_news/donate/donate.html
— –
Illustration : Le Christ dans la maison de Ses parents – John Everett Millais, 1849
— –
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/making-it-work.html
Pour aller plus loin :
- NDT: aux USA le premier lundi de septembre
- NDT: chaîne de restauration rapide dont le directeur est un catholique à tout crin
- NDT: sénateur à Washington et président du parlement de Floride
- Groupe de religieuses ayant entamé un vaste tour des USA en autocar pour proclamer leurs positions plutôt « gauchisantes »
- L’électeur catholique Américain. Deux-cents ans d’impact politique
- NDT: susceptibles de faire basculer le résultat final,