Le peuple américain vient d’achever, il y a quelques mois, une longue période de carnaval, une folle caravane de bonimenteurs, d’illusionnistes, de farceurs infiltrés dans la foule, clowns, malabars, femmes à barbe, acrobates, dompteurs de lions édentés. Le spectacle a coûté plusieurs milliards de dollars, sans parler des millions d’heures passées à le regarder. Notre animateur en chef est un homme qui, sans friser le ridicule, peut définir le péché comme quelque chose de « non conforme à ses idéaux ».
Il est certes difficile à un pêcheur de détourner les yeux de la « grande prostituée », le pouvoir. Les Apôtres eux-mêmes, lors de la dernière cène, avaient provisoirement oublié que l’un d’eux devait Le trahir. Ils se disputaient pour savoir qui était le plus grand. Jésus a dû utiliser des trésors d’infinie patience pour les calmer.
Le Galiléen savait la vanité de la quête du pouvoir : « Les rois des Nations dominent sur elles, et ceux qui exercent le pouvoir se font appeler Bienfaiteurs ». Les gens remercient ceux qui allègent le fardeau qu’ils portent sur le dos. « Que le plus grand parmi vous se comporte comme le plus jeune, et celui qui gouverne comme celui qui sert. » (Luc, 22, 25-26)
Dans quelques semaines, les cardinaux de l’Eglise catholique éliront un nouveau successeur à St Pierre. Cela ne prendra pas longtemps. Cela ne coûtera pas trop cher : quelques billets d’avion, l’hébergement et la nourriture. Les cardinaux invoqueront le Saint Esprit. Ils marqueront leurs préférences et débattront.
Les figures de carnaval empliront les rues de Rome, frustrés des silences du Vatican. Si le nouveau pape est pareil au pape Benoît, il sera confus de sa « victoire ». « Simon, Simon, dit Jésus après qu’il eut affirmé que le premier des Apôtres devait être le dernier, voici que Satan vous a réclamé pour vous cribler comme le froment, mais moi j’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères. » (Luc, 22, 31-32)
J’ignore vers qui le Saint Esprit conduira les cardinaux. Ce que je sais, c’est que, quel qu’il soit, le monde ne le comprendra pas. Le monde parle l’argot du carnaval, l’appétit de richesse, de célébrité, de pouvoir. Le monde considère comme une « faute » que Pierre proclame la vérité à temps et à contretemps. Le monde ne connaît que le succès de ceux qui passent à travers les tourniquets.
Le monde s’est moqué de l’Eglise quand, sous les traits de l’Epoux, elle est morte sur la Croix. L’Eglise mourra encore et le monde se moquera. Et l’Eglise ressuscitera et le monde le niera. Cela jusqu’à la fin des temps. D’un côté le carnaval, de l’autre les saints et les pêcheurs dédiés aux œuvres de foi, d’espérance et de charité.
Parfois le carnaval et l’Eglise se mélangent un peu trop librement ; parfois l’Eglise adoucit et humanise le carnaval ; parfois le carnaval introduit un bouffon ou un fripon dans une position d’autorité au sein de l’Eglise. Mais St Jean nous dit : «Tout ce qui est dans le monde, la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, et l’orgueil de la richesse, vient non pas du Père mais du monde. » (1er épitre, 2, 16)
L’Eglise peut aimer le monde dans lequel elle vit mais dont elle n’est pas ; en renonçant au carnaval et en passant pour folle aux yeux des fous à la face enfarinée et aux savates trop larges qui se battent pour les places de V.I.P.
Les aboyeurs publics du carnaval spéculent sur les raisons de la renonciation du Pape. Qui accepterait de son plein gré d’abandonner le pouvoir ? Soit il est devenu incapable d’y prendre encore du plaisir soit il a été contraint. Ils n’écoutent pas ce que le pape Benoît a dit. Il n’a pas souhaité le siège de Pierre. C’est une charge terrible que celle de servir fidèlement l’Eglise en tout temps, spécialement en ces jours de folie. Il fait exactement ce qu’il a dit qu’il ferait. Pas un de ses ennemis ne peut l’accuser d’incohérence. Il va monter pour chercher la face de Dieu, prier sans cesse jusqu’à ce que la mort vienne, pour le salut de l’Epouse qu’il a choisi de servir. Le Pape Jean-Paul II avait donné au monde un témoignage éloquent de l’amour que peut procurer la souffrance patiente. Sa fragilité était une réplique à leur culte de la force. Le monde n’a pas compris le sens de ses derniers jours ; le carnaval redoute autant le silence de la prière que le silence de la mort. Le Pape Benoît va maintenant donner au monde un témoignage éloquent d’entrée dans le silence. Les clowns de carnaval, quand ils quittent la scène, ne peuvent s’empêcher de continuer à se donner en spectacle, en se mêlant au public, grimaçant, paradant, et tenant de voler la vedette au nouvel animateur en chef.
Le Pape Benoît ne fera rien de tel. Alors que le carnaval continuera de se livrer à ses ébats sonores incessants et stupides, le serviteur de tous les serviteurs de Dieu sera agenouillé, vieillard tremblotant, mais apaisé, en communion avec Celui qui est lui-même communion d’amour. Peut-être quelqu’un au milieu de la fête lancera-t-il un regard dans sa direction.
http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/all-the-kingdoms-of-the-world.html
Pour aller plus loin :
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- La double sentence conforme. Fin prochaine d’une procédure multiséculaire ?
- Gabbatha de Fabrice Hadjadj : le théâtre au service de la Parole
- LE MINISTERE DE MGR GHIKA EN ROUMANIE (1940 – 1954)
- LE GARGANTUA AMÉRICAIN