Pour oser dire que l’on traverse sa propre souffrance avec le Christ, il faut une humilité totale. Celle qui permet de se vider de toute suffisance et de toute prétention afin de s’identifier à la victime sainte, à la victime sans tache, à la victime qui prononce la parole de renoncement définitif : que ta volonté soit faite et non la mienne ! Pierre Lyonnet, ce jésuite qui vécut dans la première partie du XXe siècle, pouvait prononcer cette parole, parce qu’il fut lui-même victime offerte, endurant une souffrance peu commune et pourtant partagée par nombre de frères et de sœurs. Mais en disciple de saint Ignace il avait fait de son épreuve continuelle un chemin d’imitation et de conformation au Seigneur crucifié.
Que l’on ne pense surtout pas que la transformation intérieure se soit faite naturellement, sans révolte, et que la purification qui l’accompagne ait révélé immédiatement une âme complètement disposée : « Peu à peu la maladie me fait descendre au fond de ma misère, ce que je croyais autrefois de la vertu n’était que de la bonne santé, et ce contentement intérieur que je prends pour la paix divine, n’était peut-être que la satisfaction d’un homme comblé… » Plus la souffrance s’approfondit, plus la conscience s’ouvre à l’exigence totale du don de soi. D’où un étonnant dialogue avec Jésus, qui vient révéler à Pierre Lyonnet ce qui se passe en lui : « Pour le moment, tes yeux sont encore voilés, mais bientôt tu verras dans une lumière éclatante ce que tu pressens déjà dans l’obscurité, dans cette mort, en toi-même, de ce que tu aimais, dans ce déchirement de ton égoïsme ; j’ai labouré dans le vif et j’ai semé, profond, ma charité. Je triomphe en toi, j’ai triomphé. »
Il y a ainsi dans l’histoire de la spiritualité chrétienne d’extraordinaires pépites, qui demeurent quasi secrètes. Celles de ce jésuite mort en 1949, à l’âge de 43 ans, au terme d’une vie religieuse sans cesse harcelée par la maladie, méritent d’être méditées, car on y retrouve l’écho des meilleurs maîtres : Ignace de Loyola bien sûr, dont Pierre Lyonnet avait choisi de rejoindre le sillage dans la Compagnie. Mais aussi une Thérèse de Lisieux, un Charles de Foucauld, un Père Marie Eugène, ou encore Jean-Paul II et Mère Teresa, cette escouade de nos éclaireurs vers le ciel. C’est au père Jean-Yves Théry, qui fut supérieur du grand séminaire d’Aix-en-Provence, que nous devons cette réédition1 d’un choix de textes brûlants de ce parfait serviteur du Christ souffrant. Une maladie chronique l’a lui-même empêché de poursuivre sa tâche apostolique éminente. Il vit aujourd’hui au sein d’une communauté de l’Arche à Marseille. On comprend que sa propre épreuve lui ait permis de reconnaître dans son aîné un initiateur. Sa rencontre avec lui était antérieure à sa maladie, mais elle s’est approfondie au point qu’il le considère comme « un frère aîné » qui lui tend la main et lui donne plus que du courage de vivre : « Tel un guide de haute-montagne, affirme le père Théry au lecteur, il passe devant toi et t’entraîne à sa suite. » Voici, en tout cas, un livre qui aide à prier et qui fait prier.
- Pierre Lyonnet, Traverser la souffrance avec le Christ, Artège. Présentation du père Jean-Yves Théry. Préface de Mgr Bernard Ginoux, évêque de Montauban, 172 p., 11 €.
Pour aller plus loin :
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- Conclusions provisoires du Synode sur la Parole de Dieu
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?