Faut-il désespérer de la possibilité d’une libre discussion, alors même que l’on est en radicale opposition de fond ? Il le semble souvent, mais le régime de démocratie libérale n’est-il pas fondé sur une discussion ordonnée à partir de laquelle doit se dégager une décision ? On peut objecter que cette décision n’est pas forcément identifiable à une raison supérieure, puisque c’est l’arbitrage du nombre qui tranche, en définitive. Par ailleurs, la politique n’appartient pas purement et simplement au domaine de l’intelligence désintéressée, elle est aux prises avec des oppositions d’intérêts. Il lui est très difficile de s’abstraire des rapports de force. Nous le voyons bien aujourd’hui avec le bras de fer engagé entre le gouvernement et la CGT, qui prélude, n’en doutons pas, à d’autres affrontements si la droite revient au pouvoir et veut rompre avec uns système social ancré dans notre pays.
En dépit de tout cela, il faut tout de même parier sur l’échange rationnel, car il serait catastrophique de se fonder sur la seule violence. Il est arrivé dans le passé que le primat de la violence soit théorisé. Le marxisme-léninisme est entièrement lié au principe d’une violence accoucheuse de l’histoire, parce que cette même histoire est structurée par la lutte des classes, moteur de l’évolution en faveur d’une très mythique sortie de la dialectique de la force. Je me souviens de m’être courtoisement opposé à cet homme étonnant qu’était Pierre Andreu, qui présentait favorablement la thèse de Georges Sorel contenue dans un ouvrage au titre significatif : Réflexions sur la violence. Ce Sorel qui avait applaudi à la prise du pouvoir par Lénine en 1917.
Je remuais ces idées dans ma tête, en suivant le récit de l’affrontement qui a eu lieu la semaine dernière aux abords de la place de la République. Mes amis des Veilleurs avaient décidé de proposer un dialogue sur le travail aux militants de Nuit debout. Mal leur en a pris, puisque ce sont les coups qui ont répondu à l’esprit d’ouverture. Mais Axel Rokvam a donné des précisions intéressantes. Des personnes de Nuit debout étaient en désaccord avec les partisans de la violence. Certains ont même demandé pardon, d’autres ont proposé, de façon discrète, de se revoir pour échanger sur les engagements réciproques. C’est donc qu’il y a toujours une petite lueur d’espoir, pour que la violence butée n’ait pas le dernier mot.