Quand on en vient aux questions nées de l’apparent conflit entre la science et la théologie, j’ai parfois le même sentiment que Michael Corleone dans Le Parrain III : « Au moment où je pensais que j’étais dehors … ils m’ont tiré à l’intérieur. » Il y a deux semaines, ici même, je m’interrogeais sur la sagesse de l’usage qu’Eric Metaxas, dans un article qu’il publia le jour de Noël dans le Wall Street Journal faisait de la science, pour «des arguments en faveur de Dieu ». J’ai depuis appris de Metaxas lui-même que son essai a reçu dans Facebook plus de « j’aime » que n’importe quel autre essai dans l’histoire de ce journal.
D’autres, bien sûr, s’y sont mis, y compris l’éminent physicien de l’Etat d’Arizona Lawrence Krauss, qui écrivit à Metaxas une réponse que le Wall Street Journal choisit de ne pas publier. Mais pour notre bonheur, Richard Dawkins a mis cette réponse sur son site web. Sans surprise, Krauss , s’appuyant sur sa compétence propre, contredit les affirmations de Metaxas, argüant que Metaxas s’est trompé sur la nature et la véracité des découvertes scientifiques qu’il invoque à l’appui de son argument en faveur de Dieu.
Vous penseriez que cela serait suffisant pour un scientifique convaincu du primat de la raison. Mais non. Krauss se risque en dehors de sa compétence où il a obtenu des éloges bien mérités, et il profère une fatwa séculière, suggérant que l’essai de Metaxas devrait être mis à l’écart du domaine des opinions respectables parce que l’auteur est un « écrivain religieux avec un programme »
Ce qui s’oppose à quoi ? A un écrivain scientifique avec un programme ? Peut-être quelqu’un comme Dawkins, à propos de qui Alvin Plantinga, l’illustre philosophe de Notre Dame, dit : « Vous pourriez dire que certaines de ses incursions en philosophie sont au mieux dignes d’un étudiant de deuxième année mais ce serait injuste pour les étudiants de deuxième année. »
Dans une curieuse réponse à mon essai, Vincent Torley m’oppose au pape Pie XII. Il aurait pu aussi bien me placer dans le ring avec Rocky Marciano dans ses beaux jours. Heureusement pour moi, l’appréciation de Torley est anachronique. (Non pour Marciano, mais pour Pie, bien qu’ils fussent tous deux italiens).
Les citations de Pie XII par Torley viennent d’un entretien qu’il donna le 22 novembre 1951 à l’Académie des Sciences pontificale sur les preuves traditionnelles de saint Thomas de l’existence de Dieu, les quinque viae : avaient-elles été révoquées par les découvertes de la science moderne ? Feu Pie XII met l’accent sur la première et la cinquième voie – arguments du mouvement (ou mutabilité) et causalité efficiente – et montre comment les révélations de la science moderne confirment les prémisses de ces arguments.
Comme l’expose Pie XII : « La question alors n’est pas de réviser les preuves philosophiques, mais plutôt de rechercher dans les fondements de la physique d’où elles découlent… » Cependant « il n’y a pas de raison de redouter les surprises », car « la science elle-même ne vise pas à sortir de ce monde qui aujourd’hui comme hier se présente à travers ces « cinq modalités d’être » d’où procède la démonstration philosophique de l’existence de Dieu et d’où elle tire sa force. »
Les données scientifiques, en d’autres termes, illuminent ce que nous avons déjà connu philosophiquement par notre observation commune du monde : « si l’expérience primitive des Anciens pouvaient fournir la raison humaine en arguments suffisants pour démontrer l’existence de Dieu, avec l’extension et l’approfondissement du champ des expériences humaines, les traces de l’Eternel Un sont discernables dans le monde visible dans une lumière toujours plus frappante et plus claire. »
Pour l’exposer autrement, Copernic et Einstein peuvent révoquer Ptolémée et Newton, mais la nature de l’être – muable, contingente et intelligible – reste la même, même si notre connaissance de ses structures physiques dans sa variété de formes et de manifestations peut devenir plus informée et plus précise à travers le progrès de la science.
Pie XII, après tout, s’adresse à une assemblée de scientifiques, non de philosophes et de théologiens. Si, par exemple, il faisait une conférence à un groupe d’aficionados du football d’un collège américain du XXIe siècle, il utiliserait certainement la performance du Cotton Bowl 2015 de Baylor comme confirmation de la contingence radicale de l’Univers. Ce qui bien sûr ne voudrait pas dire que « le football parle de plus en plus en faveur de Dieu », quel que soit le nombre de fans du Big Ten qui pensent que les événements des deux dernières semaines semblent l’établir.
Pour quelque raison, Torley lit l’entretien de Pie XII comme un bref en faveur de l’approche de Metaxas et contre la mienne, alors qu’en fait ce semble être l’exact opposé. L’erreur de Torley cependant est compréhensible puisque il est facile de relire de façon erronée dans une plus ancienne littérature les catégories et les concepts qui dominent notre discours contemporain. Je l’ai fait moi-même à l’occasion. C’est pourquoi, par exemple, vous ne devriez pas conclure que le tennis est mentionné dans la Bible simplement parce qu’il est dit que Joseph faisait le service à la cour de Pharaon 1
Néanmoins le blogger David Klinghoffer dit que le courrier de Torley mérite d’être lu « spécialement les longues citations du pape Pie XII qui présentait des preuves à partir de la science à l’appui du théisme dans un style remarquablement similaire à celui d’Eric Metaxas. » Les citations peuvent être similaires pour quelqu’un qui n’a pas pris connaissance de l’intégralité de l’entretien de Pie XII, des preuves métaphysiques qu’il présentait comme démonstratives et de la nature du public auquel il s’adressait. Quand on prend cela en considération, les citations alignées par Torley prennent une signification différente de celle que lui et Klinghoffer veulent leur infuser.
Il y a bien sûr rien à reprocher aux théistes qui étaient de références intellectuelles leur foi et la rendant accessible à un monde plus vaste. Mon souci est simple, il a été exprimé il y a des dizaines d’années par C.S.Lewis : « Les phrases qui commencent par « La science a maintenant prouvé » devraient être évitées. Si nous essayons de fonder notre apologétique sur quelque récent développement de la science, nous trouverons le plus souvent qu’au moment précis où nous avons mis les touches finales à notre argument, la science a changé son esprit et retiré tranquillement la théorie que nous avions utilisée comme pierre angulaire »
Selon Torley, suivre cet avis nous rend pusillanimes. Je ne suis pas de cet avis. Être de sages intendants de notre héritage intellectuel nous rend fidèles.
Vendredi 16 janvier 2015
Source : Theologie, Science and Pope Pius XII.
Francis J. Beckwith est professeur de philosophie et d’études sur les rapports entre l’Eglise et l’Etat à l’Université Baylor, où il exerce aussi les fonctions de directeur adjoint des études de troisième cycle en philosophie. Parmi ses nombreux livres : Politique pour les chrétiens : habileté politique comme habileté spirituelle
Francis J. Beckwith est professeur de philosophie et d’études sur les rapports entre l’Eglise et l’Etat à l’Université Baylor, où il exerce aussi les fonctions de directeur adjoint des études de troisième cycle en philosophie. Parmi ses nombreux livres : Politique pour les chrétiens : habileté politique comme habileté spirituelle