The Way : Le retour à Compostelle - France Catholique
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The Way : Le retour à Compostelle

En 1916, à 18 ans, Francisco Estevez, Galicien de la province de Pontevedra quitta son pays pour tenter sa chance outre-Atlantique. Le 25 septembre 2013, un film produit et en partie joué par ses descendants, est sorti en France dans 138 salles (40 000 spectateurs dès le 29 septembre). Il avait été diffusé aux États-Unis en septembre 2010, et en Espagne en novembre de la même année. Film américain mâtiné d'espagnol mais aussi film familial. Le réalisateur (Emilio Estevez) est le petit-fils de Francisco. Le rôle principal est tenu par Martin Sheen (né Ramon Estevez), fils de Francesco. Taylor, l’arrière-petit-fils de Francesco est assistant de son père et d’autres membres de la famille apparaissent à l’écran. L'action se passe sur le chemin de Compostelle, en hommage à la terre de leurs ancêtres. Comme dit l'un d'eux, « le Camino, pour un Galicien est comme la tour Eiffel pour un Parisien ». On sait qu'elle existe mais y monter, c'est l'affaire des touristes. Martin Sheen a eu un jour envie de parcourir ce chemin dont il avait entendu parler dans son enfance exilée. Venu en Irlande, en 2003, pour un rassemblement familial après la mort d'un de ses frères, il propose à sa famille « de le suivre en Espagne pour faire le chemin ». Mais « tout le monde décline poliment ». Ayant peu de temps, il parcourt l'itinéraire en voiture, au plus près du chemin avec un ami et Taylor, le fils d'Emilio. De cette histoire familiale sont nés un film et un livre. En France, les deux sont présentés sous le même titre : The Way, la route ensemble.
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Emilio Estevez a dit du film qu’il était un hommage à son grand-père et aux racines espagnoles de sa famille. Mais il a tourné ce film en se conformant au pèlerinage contemporain à Compostelle qui n’est plus celui qui existait à l’époque où son grand-père a quitté la Galice. En 1916, il s’agissait d’un pèlerinage animé par l’Église de Compostelle qui y conviait des fidèles, en majorité espagnols. Des rites de pèlerinage nouveaux ont été inventés, comme celui de la Cruz de Ferro ou de l’arbre de Jessé ; les pèlerins n’allaient pas non plus à Muxia après Compostelle. Le pèlerinage s’est internationalisé, ce que le film rend très bien. Mais ce n’est donc plus celui dont parlait Francesco à ses enfants. Le chemin de Compostelle est devenu comme une grande scène de théâtre 1. Ce film s’inscrit parfaitement dans cette constatation. Le réalisateur aurait-il eu l’autorisation de tourner dans la cathédrale s’il s’était permis ce retour historique ?

Emilio Estevez confie dans le livre 2 : « À la suite de ce voyage de 2003, mon père a commencé à me faire des appels du pied pour réaliser un film sur le Camino avec un personnage pour lui. » Il poursuit : « Je savais ce que c’était de perdre un fils au profit du Camino. C’est ce que j’avais ressenti lorsque mon fils Taylor avait choisi de s’installer en Espagne. » Il avait trouvé l’âme sœur à Burgos lors du voyage de 2003. Et Emilio conclut : « Ce film devait parler d’un père qui perdait son fils. »

Tom, le héros du film, médecin californien, réputé et bien installé dans l’existence, s’est séparé de son fils peu auparavant. Le fils reprochait au père de subir son existence alors que lui, ayant « envie de vivre sa vie », partait à l’aventure. Peu après, Tom est appelé en urgence à Saint-Jean-Pied-de-Port pour constater son décès dans la montée de Roncevaux.

Il découvre son fils pèlerin de Compostelle. Pour le comprendre, il décide de prendre le chemin. Il marchera avec lui dont il emporte les cendres pour les disperser sur cette route qu’ils feront donc « ensemble ».

Le premier jour Tom est seul dans la mon­tagne. Il monte le chemin conduisant à Roncevaux, avec sa douleur de père, ses souvenirs, enfermé dans ses pensées. Mais dès le premier soir, dans un dortoir de pèlerins, un Hollandais exubérant perturbe son besoin de solitude. Il le fera souvent au point de s’imposer fréquemment à lui comme compagnon de marche ou de table. Deux autres pèlerins se joindront à eux au fil des jours, une Canadienne qui prétend vouloir cesser de « fumer » et un écrivain irlandais en mal d’inspiration et particulièrement « déjanté ».

Ils se découvriront progressivement et finiront par faire route ensemble, non sans heurts ni incompréhensions. Ils arriveront ainsi à Compostelle puis poursuivront jusqu’au sanctuaire de Notre-Dame de la Barca à Muxia où Tom confiera à l’Océan la dernière poignée de cendres sous le regard de ses compagnons.

L’engouement pour Compostelle en France a encouragé une jeune société de distribution française, VOST/Condor, à en acquérir les droits, avec l’espoir de faire une place sur un marché très encombré à un film qui n’est pas une superproduction hollywoodienne mais est un film indépendant, tourné avec peu de moyens (40 jours de tournage et un budget de moins de 2,5 millions de dollars) mais proposant une démarche originale.

Elle a compté en France sur un double public, celui des croyants et celui des marcheurs. Aussi a-t-elle organisé depuis début août des présentations en avant-première dans 80 villes dont beaucoup situées sur les chemins contemporains de Compostelle et quelques autres qui pourraient l’être aussi car chaque pèlerin part de chez lui.

Cette promotion a reçu le soutien d’organismes susceptibles de mobiliser ces deux publics, le groupe Bayard Presse (représenté par le magazine Pèlerin et le quotidien La Croix) et le réseau des librairies Siloé, la Fédération française de randonnée et les agences de voyages spécialistes du chemin, regroupées sous la marque Via Compostela. Ces présentations ont touché un public pèlerin dont les réactions ont été très positives. Les pèlerins déclarent « retrouver l’ambiance du chemin », tout en regrettant certaines exagérations. La beauté du film les a conquis. Les critiques sont rares et les spectateurs satisfaits. (Il a reçu le prix « Coup de foudre » des spectateurs avec 95% de satisfaction pour les hommes et 90% pour les femmes…). La remarque du « médecin, écrivain, diplomate, académicien et pèlerin » Jean-Christophe Rufin, rapportée par Marie-Noëlle Tranchant dans Le Figaro, selon lequel « l’extase manque dans le film », a suscité la désapprobation très forte de plusieurs internautes.

J’ai vu ce film dans une salle conquise. J’étais impatient de le confronter à mon expérience de pèlerin et à ma connaissance de Compostelle. Propre à émouvoir, le scénario est plausible et motivant. Mais d’avoir trop su à l’avance les origines galiciennes de l’acteur et son désir de faire le pèlerinage m’a empêché d’entrer vraiment dans son jeu.

Il est lancé dans des aventures parfois extravagantes et entouré de personnages superficiels aux traits forcés. Les grandes tablées bruyantes et les dortoirs réveillent certes des souvenirs. Ce ne sont pas des éléments essentiels du pèlerinage. L’ambiance générale porte rarement au rêve ou à la méditation. Les bienfaits qu’apporte la marche au long cours ne sont pas révélés. Les acteurs, au pas toujours pressé, ne donnent jamais l’impression d’être fatigués.

Les décors sont toujours magnifiques, plus beaux que les souvenirs que l’on peut avoir du chemin. Le réalisateur a habilement escamoté la monotonie des traversées urbaines et la banalité de bien des portions de l’itinéraire.
Comme dans la majorité des récits de pèlerins contemporains, les Espagnols sont absents de la scène, en dehors de ceux qui sont en relation avec les pèlerins.

Le film traite l’histoire du pèlerinage de façon sommaire et accrédite l’idée qu’elle n’intéresse pas les pèlerins. Est-ce une bonne façon d’honorer Compostelle ?

Le manque de dignité de la dernière scène est surprenant. Tom après avoir dispersé les dernières cendres de son fils essuie ses mains sur le fond de son pantalon et abandonne sur les rochers le sac en plastique et la boîte qui les contenaient. Est-ce pour souligner qu’il a vraiment fait le deuil de son fils ?
Ce film suscitera sans doute des vocations pèlerines car le pèlerinage répond à un besoin d’une société en mal de sens et chacun projette son propre imaginaire sur tout discours relatif à Compostelle.

Le titre de la version française est complété par « La route ensemble ». Cela est conforme à la démarche du père avec son fils mais à de rares exceptions près, les quatre pèlerins semblent rester finalement étrangers les uns aux autres malgré leur déplacement en groupe. Seul Tom a évolué de sa solitude initiale vers l’acceptation de ces compagnons dont la présence s’est révélée bénéfique, chacun l’aidant à sa façon à modifier son comportement.

Plusieurs lectures de ce film sont possibles. La première est la lecture « pieuse » de ceux qui voient le chemin comme une occasion de rédemption et souhaitent le promouvoir dans un souci d’évangélisation. La seconde est publicitaire, c’est la « plongée émouvante » dans l’univers du Camino, offrant une vision stéréotypée de la marche contemporaine vers Compostelle, propre à alimenter le discours convenu des médias pour vendre Compostelle.
On peut aussi chercher dans ce film l’analyse psychologique des relations père-fils. C’est peu de dire qu’elle est escamotée. Il est finalement dommage que Tom n’ait pas été le vrai Martin, revenant avec sa famille vers la Galice d’où était parti son père Francesco un siècle plus tôt. Il aurait avantageusement pu s’intéresser aux habitants plus qu’au chemin. Faire découvrir Compostelle eût été plus utile qu’ajouter des strophes à la louange du Camino. Les dialogues et les rencontres auraient été plus riches. Le film aurait aussi eu une autre dimension si Emilio avait réellement perdu son fils. Là il est avec lui pour filmer le théâtre. C’est bien différent.

Dans le livre, ce récit à deux voix de la vie de la famille Estevez est un témoignage d’une beaucoup plus grande sincérité, parfois émouvant, toujours intéressant. Dans leur milieu exigeant et dur, la trame de la vie de la famille de Martin Sheen s’entrecroise avec son parcours professionnel et celui d’Emilio. Malgré son souci de la protéger, Martin a parfois sacrifié sa vie de famille sur l’autel de la réussite ou dans le simple espoir d’un contrat pour survivre. Emilio n’échappe pas à la même fatalité.

Toujours dans ce livre, les cinéphiles trouveront leur bonheur dans l’histoire des nombreux films auxquels Martin et les siens ont participé. Pour ceux qui ne connaissent rien au cinéma américain elle sera une porte d’entrée pour aller plus loin. Ce livre est aussi le témoignage de la guérison de Martin Sheen après des années d’alcoolisme et de son retour à la foi qu’avait son père.

Pour en revenir à ce « film-événement », deux réactions tranchent avec les avis généralement très élogieux en sortie des avant-premières.

« On aurait tellement aimé aimer ce film tourné en famille, et quelle famille ! Celle du grand Martin Sheen, de son fils Emilio Estevez (réalisateur et acteur) et de sa fille Renée.

« Mais là, trop, c’est trop ! Trop de bons sentiments, trop de symbolisme outrancier, trop de mélo, The Way est une descente aux enfers irrémédiable dans tout ce qu’il ne faut pas faire au cinéma sur le deuil, l’amour paternel, la foi et la crise existentielle.

« Les personnages sont sans épaisseur, ce qui pousse Estevez à en rajouter dans le pathos, les phrases toutes faites et les symboles ridicules. Au final, le pèlerinage se transforme en chemin de croix pour un spectateur normalement constitué, le gros trait étant devenu ici le seul moyen d’expression. Raté de bout en bout. »
Fabrice Leclerc – Studio Ciné Live

Et : « On meurt d’ennui devant ce long pèlerinage, saturé de bonnes intentions, dont l’intérêt cinématographique est à peu près nul »
J. Morice.

France Inter a qualifié le fim de « gros mélo pâteux de la rentrée ».

L’expression « monter au Golgotha » a aussi été employée pour décrire non pas le chemin parcouru par les acteurs mais la difficulté pour les spectateurs de s’intéresser à leur sort. Quant à Frédérique de Watriguant, dans son blog sur le site Internet de France Catholique, elle a dû défendre sa position face à certains lecteurs après avoir conseillé d’« évite[r] absolument de voir le très américain et mauvais film The Way ». (Mais c’était pour mieux faire l’éloge du livre Immortelle Randonnée de Jean-Christophe Ruffin.)

Il est vrai que, sur Compostelle, le film est lourd, englué dans les poncifs du pèlerinage contemporain, sans le moindre regard critique alors que sur les relations père-fils il est léger.

Mais l’intérêt du livre éponyme permet de penser que l’écrit survivra à l’image. Il risque cependant d’être desservi par sa couverture qui est au service du film plus que de son contenu réel. Que deviendra le film ? Le cinéma a déjà apporté des succès à l’encontre des avis des spécialistes et, bien qu’il soit traité a minima dans le film, saint Jacques ne sera peut-être pas avare de son soutien.

  1. Denise Péricard-Méa et Louis Mollaret, Compostelle 813-2013. 1200 ans de pèlerinage, Éd Alan Sutton, 2013.
  2. Martin Sheen et Emilio Estevez avec la collaboration de Hope Edelman, The Way, La route ensemble, Bayard, 2013, trad. de Along the way, FreePress, 2012, par Marianne Groves.