Au mois de mai dernier, Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie, a publié sur le site de la Fondapol (think tank libéral) une étude appelant à la renégociation, voire à la dénonciation, de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Cette note, émanant d’un diplomate chevronné, a fait l’effet d’une bombe au sein de la classe politique. De quoi s’agit-il ?
Un statut très privilégié
En 1968, le général de Gaulle souhaite favoriser l’établissement d’une main-d’œuvre étrangère francophone pour participer à l’industrialisation du pays. Cédant aux instances des autorités algériennes, il se laisse convaincre de signer un accord bilatéral accordant aux ressortissants algériens un statut privilégié en matière d’établissement, de séjour et de travail sur le sol français : possibilité d’attribution d’un titre de séjour de 10 ans ; exemption du visa de long séjour pour le conjoint ; facilité accordée au regroupement familial – l’exigence d’intégration dans la société française n’est plus requise – ; naturalisation des « sans-papiers » au bout de 10 ans ; liberté d’établissement commercial au profit des Algériens qui n’ont pas à démontrer que leur activité est économiquement viable.
Relevant du droit international, ce traité a une autorité supérieure à la loi française. Cette situation explique largement l’échec des politiques de lutte contre l’immigration, les nombreuses lois adoptées en la matière ne s’appliquant pas aux ressortissants algériens qui sont, de loin, les plus nombreux sur le sol français.
Amendé à plusieurs reprises, ce traité n’a jamais été remis en cause dans ses dispositions fondamentales, l’Algérie étant très attachée à la libre installation de ses ressortissants en France. Faut-il dès lors le dénoncer unilatéralement pour résoudre en profondeur la question migratoire ? Xavier Driencourt évoque cette possibilité et en précise les modalités concrètes dans sa note. Il est suivi en cela par de nombreux politiques à droite, d’Édouard Philippe à Éric Zemmour.
Une telle décision ouvrirait, à coup sûr, une crise diplomatique entre la France et l’Algérie dont les relations se sont déjà dégradées depuis que Paris a décidé, en 2021, de restreindre le nombre de visas octroyés. Cependant, l’éventualité d’une telle dénonciation serait aussi un moyen de pression pour la France afin d’obtenir de l’Algérie qu’elle délivre des laissez-passer consulaires aux Algériens faisant l’objet d’une OQTF – obligation de quitter le territoire français. Ce serait, en somme, un moyen de retrouver un pan de la souveraineté française. Interrogé sur cet accord dans Le Point du 24 août, Emmanuel Macron répond, de manière sibylline : « On dit tout et son contraire à ce sujet. Je ne suis guidé à ce propos que par un principe d’efficacité »…
Deux principes liés
Comment aborder cette question d’un point de vue catholique ? La position de l’Église est guidée par deux principes qui doivent être tenus ensemble : solidarité vis-à-vis des personnes les plus démunies – comme le sont souvent les migrants – et respect de la cohésion des sociétés, celle-ci s’appréciant d’un point de vue politique, économique, social et culturel. C’est pourquoi chaque situation doit être considérée au cas par cas, en prenant en compte les capacités d’intégration culturelle du migrant, leur nombre et la situation du pays d’accueil, afin de préserver un équilibre qui garantisse le droit à la continuité historique des peuples, comme le souligne le Compendium de la doctrine sociale de l’Église : « La nation possède un droit fondamental à l’existence à garder sa propre langue et sa culture, par lesquelles un peuple exprime et défend […] sa souveraineté spirituelle originelle. »
Enfin, l’émigration étant toujours un déracinement, « il faut aussi réaffirmer le droit de ne pas émigrer, c’est-à-dire d’être en condition de demeurer sur sa propre terre », précise le pape François dans l’encyclique Fratelli tutti (2020).
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- LES MALADIES DE LA DÉMOCRATIE ÉLECTIVE : COMMENT N’ÉTRE PAS DÉSABUSÉ ?
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
- Bulletin de l'Acip n°1131 (DR)