Tadeusz Mazowiecki, qui fut le premier chef de gouvernement non communiste à Varsovie, vient de nous quitter à l’âge de 86 ans. L’accélération de l’histoire, sur laquelle Daniel Halévy écrivit un magnifique essai, risque d’abolir la mémoire des moments essentiels où cet homme juste et droit fut un acteur de premier plan. Il n’était pas évident de prendre congé du système totalitaire qui enserrait l’Europe centrale sans encourir les risques inhérents à une révolution. Mais Mazowiecki était un chrétien, issu de cette étonnante génération polonaise qui avait affronté le pouvoir communiste avec les seules armes de l’esprit. C’est à elle que nous devons, en grande partie, les conditions pacifiques qui permirent à la Pologne d’accéder à la liberté, en servant de modèle aux autres peuples asservis.
Le plus bel hommage qui ait été rendu à l’ancien Premier ministre est sans doute venu du dernier président de la Pologne communiste, le général Wojciech Jaruzelski : « Nous avons traversé tous les deux une épreuve difficile, moi en tant que Président, lui en tant que Premier ministre. J’ai beaucoup apprécié sa sagesse, sa pondération et sa lucidité à des moments difficiles, mais aussi son obstination quand il s’agissait de choses cruciales pour lui. » On apprécie de tels propos, lorsqu’on songe au rôle du général Jaruzelski qui avait d’abord voulu briser l’élan impulsé par Jean-Paul II et qui s’était incarné dans le syndicat Solidarnosc. Le coup de force militaire pour établir un état de guerre n’avait pas brisé la résistance de tout un peuple. On peut reconnaître au général le mérite d’avoir, par la suite, favorisé l’avènement d’un gouvernement représentatif, en acceptant loyalement le partenariat avec l’ancien adversaire.
Le pape polonais, dès son avènement, avait conçu cet extraordinaire renversement, dont la force morale et spirituelle était l’unique ressort. Par chance, il pouvait s’appuyer sur une élite militante, formée notamment à Varsovie et à Cracovie. Nous avons eu la chance, dans ce journal, de bien connaître des représentants éminents de cette génération qui nous honoraient de leur amitié. Un quart de siècle après le tournant de 1989, nous saluons en la personne de Tadeusz Mazowiecki, tous ceux qui surent servir la cause de leur libération, en assumant pleinement la différence chrétienne qui modifie la politique en la pacifiant et en l’ouvrant à la fraternité.