Je voudrais m’exprimer sur une éventuelle intervention armée contre la Syrie, sachant bien que tous n’approuveront pas entièrement — même pas moi-même. J’aurais pu soutenir une frappe limitée, bien ciblée, contre les forces armées Syriennes — SI elle avait immédiatement suivi le constat officiel d’emploi d’armes chimiques. L’opinion mondiale aurait compris et oublié. Et le régime syrien aurait eu un souci de plus, avec ce qui lui arriverait s’il recommençait. Tout comme n’importe quel malfaiteur. Petit mais réel avantage pour les Syriens innocents ainsi que pour tout le monde.
Les sondages aux USA reflètent essentiellement ma propre évolution. Une majorité approuvait une action immédiate après les agressions chimiques. La majorité a basculé de l’autre côté. À juste raison.
La situation a tourné au ridicule achevé. Un gouvernement a-t-il jamais autant expliqué ses intentions à l’adversaire, ce qu’il ferait et ne ferait pas? Et la prochaine fois, à qui demanderons-nous leur avis avant d’agir? Aux Généraux d’Assad? À Poutine? Quoi que nous fassions ne fera guère de différence. Les explications du président et les débats au Congrès sont bien plus emberlificotés que si on avait songé à une simple déclaration de guerre. Bizarrement, çà ressemble bien à une déclaration de guerre morale.
Mon avis — avis de prudence — est qu’il est mauvais, très mauvais pour le monde entier de laisser à un pays la porte ouverte aux armes de destruction massive. Certains, tenants des deux partis, peuvent bien dire qu’il n’y a pas de différence entre mort par armes conventionnelles ou par armes de destruction massive. En un sens, c’est vrai, un mort est un mort.
Mais politiquement, c’est inexact. La Syrie a tué près de 1500 personnes dont près de 500 enfants, en une seule attaque chimique. C’est la mort avec un autre ordre de grandeur, ce qui justifie la désignation d’armes de destruction massive, et l’interdiction théorique par la loi internationale, sans toutefois faire preuve d’une grande responsabilité dans la pratique.
Jouer les moralisateurs sans pratiquer la morale a un prix. Ce pourrait doubler le nombre des 100 000 morts déjà tués en Syrie.
Il est bien certain que de graves répercussions pourraient faire suite à une attaque en Syrie. Mais ne rien faire a aussi des conséquences inquiétantes. Je pense à l’avertissement de la Russie hier [5 septembre] sur les risques de prolifération nucléaire si nous ne prenons pas assez de précautions, « les armes chimiques vous inquiètent, attention aux armes nucléaires!»
J’aurais préféré une frappe immédiate sur des installations militaires, des aérodromes, ou la résidence d’une tête du régime — qui aurait mis, ce que le président Obama a dénié, les points sur les « i » : pas de nouvelle attaque aux armes de destruction massive.
Il ne faut pas croire qu’une telle frappe serait sans effets. En 1983 Ronald Reagan a envoyé ses chasseurs-bombardiers contre Khadafi en Lybie, alors qu’il soutenait les attaques terroristes contre les Américains en Europe. Nos amis Européens craignaient à l’époque que nous ayions aggravé la situation. En fait, il n’y eut plus d’attaques terroristes. Un coup sur les doigts peut faire réfléchir le pire tyran.
À mon avis, une attaque immédiate aurait été une mesure appropriée de dissuasion. Assad et ses Généraux savent bien que nous n’allons pas envahir la Syrie. Nous aussi. Mais nous pouvons tracer des limites. Parfois, nous devrions …
Le président a agi de manière erratique, presque à contre-cœur — il n’est pas étrange que Assad l’ait pris pour du bluff. En fait on a révélé ces derniers jours que des attaques au gaz ont été menées ces derniers mois en Syrie, sans doute plus de dix fois. La Syrie pensait vraisemblablement qu’Obama ne faisait qu’un discours de plus en parlant de « ligne rouge ».
C’est bien la façon de faire d’Obama. Après un discours très dur samedi dernier, Obama a passé sept heures le même après-midi à jouer au golf. J’ai bien peur qu’il ait ainsi émis également un « message ».
Simultanément le Pape et les responsables dhrétiens de Syrie se sont élevés contre le principe d’une intervention militaire. Et S.S. François a appelé les catholiques à observer samedi une journée de prière et de jeûne pour la paix. Je m’y joindrai car, selon un vieux dicton, « l’intervention divine est l’option réaliste » en vue d’une paix dans un pays tel que la Syrie.
Le Pape a aussi rappelé que « la guerre amène la guerre, la violence appelle la violence.» Mais sauf le respect qui lui est dû, ce n’est pas tout-à-fait vrai.
La violence, par définition, n’est jamais appropriée, entraînant d’autre violence.
La guerre — une guerre légitime selon les règles traditionnelles — peut être appropriée justement parce qu’elle n’est pas violence, mais simple usage de la force. La guerre n’entraîne pas nécessairement la guerre, elle est parfois l’unique moyen pour mettre fin à la guerre.
Tous nous préférerions que chaque guerre soit comparable à la seconde guerre mondiale — qui mit fin à la violence répandue par l’Allemagne, l’Italie et le Japon — et les rétablit parmi les nations normales. Il est apparu en revanche au Viet-Nam, en Irak, en Afghanistan, que des interventions dans certaines parties du monde sont dérisoires. Il en est presque toujours ainsi. Presque.
Parfois le mieux serait de ne pas chercher à provoquer un changement de régime ou à remporter quelque « grande » victoire, mais de trouver la « solution du moindre mal ». En Syrie, en attendant d’avoir l’idée d’un remplaçant idéal à Assad, nous ferions mieux de prendre notre temps avant de provoquer son départ. Plus généralement, nous ferions mieux de nous tenir à l’écart du Moyen-Orient tout en laissant bien entendre que nous ne tolèrerons pas certaines choses, et que nous sommes prêts à répondre quand et comment nous le jugerons utile.
Mon propos n’est pas de traiter d’idéaux largement répandus, tel le « devoir de protéger », que le Vatican a longuement soutenu et qui a été adopté à l’ONU en 2007. Il est peu vraisemblable que l’ensemble des nations, ou les USA tout seuls, ou quelque force à créer par l’ONU, soutienne le « devoir de protéger » — dada de notre ambassadrice à l’ONU Samantha Power — comme un élément imprescriptible des règles internationales. Même l’emploi d’armes de destruction massive, dans certains cas, ne permettrait pas la mise en œuvre d’une action extérieure.
Mais procéder à des interventions mesurées pour dissuader des massacres massifs en certaines circonstances? Le monde — d’habitude les USA — doit y être prêt. Non pas en tant que gendarme mondial, mais en tant que nation prudente si rien ne peut arrêter la barbarie.
L’occasion a été ratée. Au lieu d’un avertissement rapide et mesuré, quoi que nous fassions désormais ne fera que compliquer et aggraver la situation — y-compris l’inaction. À brève échéance le malheureux peuple syrien paiera la note de cet abandon. Et à l’avenir, je crains la venue de nouveaux et pires évènements.
Source : http://www.thecatholicthing.org/
Photo : civils syriens…