Les syndicats de fonctionnaires de l’Ohio ont célébré la victoire de leur campagne — qui a coûté la bagatelle de trois millions de dollars — contre le référendum restreignant les pouvoirs des syndicats de fonctionnaires. Le message envoyé par les syndicats aux municipalités asphyxiées par leurs frais galopants signifiait : « ne vous mêlez pas de nos droits acquis, de notre position, de nos retraites, et n’attendez pas de nous que nous prenions part aux soucis de tous.»
Voilà le cri du mouvement syndical américain que l’Église et ses membres ont aidé à faire naître au dix-neuvième siècle.
Dans les années 1880 les syndicats créés pour défendre les mineurs, les sidérurgistes, les ouvriers d’usines et autres activités étaient fortement représentés par nombre d’adhérents catholiques. Et la hiérarchie catholique en majorité bénissait ces nouveaux syndicats pour leur vocation à améliorer le sort des fidèles. Dans son ouvrage « Our Christian Heritage » [Notre héritage chrétien] S.E. le Cardinal James Gibbons soutenait le droit des travailleurs à organiser des syndicats, et condamnait le travail des enfants ainsi que les monopoles.
L’encyclique Rerum Novarum de Léon XIII en 1891 était une grande victoire pour S.E. Gibbons et pour l’épiscopat américain, qui défendait le syndicalisme, à l’inverse de l’opinion des européens qui y voyaient l’inévitable promotion du socialisme. Par ce document le Pape soutenait qu’il y avait des limites humaines à la durée du travail, et donc que la journée de travail « devait être encadrée en-deçà du supportable. » Il pensait également aux conditions de travail des mineurs de charbon de Pennsylvanie: « les travailleurs des mines et carrières, qui arrachent le charbon, la pierre, les métaux, des entrailles de la terre, devraient bénéficier d’horaires plus courts à raison de conditions plus sévères et de mise en péril de leur santé.»
Léon XIII reconnaissait le droit des travailleurs à se syndiquer et concluait que de telles associations étaient bonnes pour tous. Pour lui, les syndicats étaient intrinsèquement valables. De plus, ils étaient porteurs « de nombreux avantages pour les travailleurs… et devaient se multiplier et gagner en efficacité.»
Après la seconde guerre mondiale les syndicats atteignirent leur apogée, et les catholiques furent les plus nombreux parmi les syndiqués. Le premier président de la fusion AFL-CIO [AFL=American Federation of Labour (Fédération américaine des travailleurs) CIO=Congress of Industrial Organizations (Congrès des organisations industrielles)] fut George Meany; un catholique, récipiendaire de la médaille « Laetare » de l’Université Notre-Dame. Son slogan: « gagner en travaillant »; il adhérait au parti Démocrate, et, anticommuniste, affichait son hostilité à la guerre froide, comme la plupart des membres de son syndicat.
Un exemple: en mai 1970, des milliers de syndicalistes organisèrent sur Wall Street une contre-manifestation s’opposant aux manifestants hostiles à la guerre du Viet-Nam. En 1972 la centrale AFL-CIO refusa de soutenir la candidature Démocrate de George McGovern en raison de sa tiédeur envers les communistes et de son soutien à une politique de gauche qui ruinerait l’économie des USA. Bien des syndicalistes « cols bleus » étaient socialement conservateurs et devinrent les soutiens démocrates de Reagan.
Mais avec le déclin de la puissance manufacturière et industrielle américaine dans les années 1970, les adhésions aux syndicats du secteur privé déclinèrent aussi. En 1970 33% des travailleurs du privé étaient syndiqués. À présent, ils sont 6%.
La nouvelle troupe syndiquée est constituée de fonctionnaires et d’employés de services semi-publics (cliniques, garderies, etc…), semi-publics car dépendant de subventions fédérales, des États, des municipalités.
Un exemple caractéristique d’agences semi-publiques: les organismes catholiques de bienfaisance. Dans les années 1960, ils ne recevaient du gouvernement que 10% de leur budget — maintenant, plus, et parfois bien plus, que 60%. Ce qui explique l’empressement de certains catholiques influents à Washington à préserver de telles subventions plutôt que soutenir une action anti-avortement.
Les syndicats de fonctionnaires, d’enseignants, de soignants, soucieux de leurs intérêts — et non de l’intérêt public — ont de bien des façons perverti la vocation initiale des syndicats. Ils ne revendiquent plus de bonnes conditions de travail, mais des avantages sans fin qui ont obéré les finances — plus d’impôts, plus de dette — des villes et des États les menant tout droit à la faillite.
Chez moi — dans l’État de New York — nous avons le prélèvement fiscal le plus élevé de la nation à cause de nos dirigeants dépendant des syndicats de fonctionnaires, d’enseignants, de soignants, qui les cajolent à coup de contributions aux frais de campagnes électorales et de « détachement » de « bénévoles » syndicaux.
Les dirigeants de Tammany Hall [NDT: Organisation politique proche du parti Démocrate, ayant joué un grand rôle dans la vie politique de l’État de New York jusque vers 1960] n’ont plus d’influence politique — maintenant, ce sont les syndicats. Et malheur à l’élu qui ose soutenir publiquement des écoles privées ou confessionnelles, défendre les réformes de sécurité sociale ou de retraites, ou vouloir mettre un terme aux folles dépenses sociales menaçant l’équilibre des budgets. Les syndicats entraîneront leurs membres aux urnes pour éliminer un tel personnage.
Dans la ville de New York 38% de l’électorat est constitué de fonctionnaires ou de membres d’organismes à but non lucratif; au Nord de l’État, économiquement chancelant, c’est 50%. Résultat de leur pouvoir: dans le secteur public le traitement moyen annuel est de 60 000 dollars par an, contre 45 000 dollars dans le secteur privé. New York dépense quarante-six milliards de dollars dans le budget de la santé pour tenir à flot des hopitaux déserts — plus que l’ensemble des dépenses de santé du Texas, de la Californie, et de la Floride. La dépense pour l’enseignement atteint 20 000 dollars par habitant, alors que les résultats scolaires sont en chute libre.
Steve Malanga, de l’Institut de Manhattan [NDT: organisme prônant une vision économique dynamique et la responsabilité individuelle] désigne à juste titre les fonctionnaires comme les maîtres politiques de New York. « Œuvrant au sein du parti Démocrate comme en dehors, ils ont créé une coalition d’intérêts dans le secteur public de bouffeurs de taxes, peu soucieux de l’intérêt des citoyens, leur propre intérêt avant tout: davantage de fonctionnaires, avec des salaires plus élevés, plus d’avantages sociaux, plus de primes — et donc encore plus de taxes.»
Quand Léon XIII et les évêques américains militaient en faveur des syndicats, leur argumentation soutenait un but: pour le bien commun, la société doit assurer aux travailleurs la dignité au travail et une certaine sécurité. De nos jours, les syndicats ne s’inquiètent pas d’un bien commun à tous les membres de la communauté, mais d’un bien collectif pour leur propre groupe, à l’exclusion de tous les autres.
Et tant-pis pour les autres.
Photo : S.E. le [*cardinal*] James Gibbons, archevêque de Baltimore, soutien des syndicats ouvriers.
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http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/unions-and-the-catholic-way.html