Sur le visage des sept frères de l’Atlas, la Splendeur de la Vérité, ou l’humilité de l’amour - France Catholique
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Noël : Dieu fait homme
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Sur le visage des sept frères de l’Atlas, la Splendeur de la Vérité, ou l’humilité de l’amour

Cet article a été publié dans la revue « Totus Tuus », consacré à Jean-Paul II « Témoin de la Vérité » (N. 2 mars/avril 2010).
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Dans son encyclique « Veritatis Splendor », Jean-Paul II a développé une réflexion sur le martyre, le martyre chrétien, mais pas seulement (§§ 90-94). Le martyre, explique le Pape, est un témoignage rendu par la conscience humaine à la Splendeur de la Vérité, universelle et immuable, au-delà même des frontières des différentes traditions religieuses ou philosophiques: « La voix de la conscience a toujours rappelé sans ambiguïté qu’il y a des vérités et des valeurs morales pour lesquelles on doit être disposé à donner jusqu’à sa vie » (§ 94). Dans le martyre, la liberté affirme, humblement, qu’elle ne se donne pas à elle-même sa propre règle mais la reçoit.

Les lumières de Notre Dame

L’Eglise, en France et en Algérie, a été marquée par le témoignage des sept moines de «Notre-Dame de l’Atlas », à Tibhirine. Je revois ces sept lumières allumées à Notre Dame de Paris à la nouvelle de leur enlèvement, en mars 1996, et éteintes, à la nouvelle de leur mort violente, annoncée le 21 mai 1996, par le Groupe islamique armé (GIA).

Leur témoignage rendu à la « Splendeur de la Vérité » s’est révélé d’autant plus éloquent qu’il était le fait d’une communauté de sept frères, unis – selon les termes de frère Paul – « par la prière et la présence aimante » au milieu du peuple algérien, unis dans la vie comme dans la mort, par ce « plus grand amour » de tout frère en humanité, plus fort encore que la terreur et la violence.

Un choix libre

Après cinquante-cinq jours de captivité dans les camps de Djamel Zitouni, émir national du GIA, qui les avait enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, les moins de l’Atlas furent décapités. D’aucuns affirment qu’ils auraient été victimes de tirs d’hélicoptères militaires. En tous cas, le bras qui a frappé était armé.

Bruno Chenu a présenté le visage de ces hommes « libres », jusqu’au bout, dans « Sept vies pour Dieu et pour l’Algérie » 1.

Après avoir réfléchi, parlé, prié, voté à bulletin secret, les frères avaient décidé, en toute liberté, de rester, conscients du danger, consacrés à Dieu, au « milieu » de ce peuple qu’ils aimaient, leurs « frères de la montagne » – villageois ou terroristes –, comme leurs « frères de la plaine » – les autorités et le reste du pays.

Le pardon, anticipé

Le P. Christian avait confié à sa famille ce « Testament » de miséricorde  qui sera publié à la une des journaux algériens: « S’il m’arrivait un jour – et ça pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Eglise, ma famille, se souviennent que ma vie était DONNEE à Dieu et à ce pays. (…) J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout court à qui m’aurait atteint ».

Il aime l’Algérie et ses fils au point de ne pas souhaiter que l’un d’entre eux soit responsable de sa mort: « Je ne saurais souhaiter une telle mort ; il me paraît important de le professer. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre.

C’est trop cher payé ce qu’on appellera, peut- être, la « grâce du martyre » que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’islam. Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l’islam qu’encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes ».

Il souhaite connaître le regard même de Dieu sur l’islam : «  Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec lui ses enfants de l’islam tels qu’il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de sa Passion, investis par le don de l’Esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences ».

Il donne ce rendez-vous poignant: « Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux, ce MERCI, et cet « A-DIEU » envisagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. AMEN ! Incha Allah! »

Deux mois à peine après l’exécution des moines, Djamel Zitouni était éliminé par un rival.

Réveil des consciences

«  Leur fin tragique a réveillé les consciences » et elle « a choqué », « tant ils étaient signes d’innocence pacifique » et qu’en même temps, elle « a été comprise comme un signe de grâce, de pardon et de bénédiction ; un signe du Christ », a écrit le regretté cardinal Jean-Marie Lustiger, alors archevêque de Paris 2

Il soulignait cette proclamation dramatique de la dignité de tout être humain – la victime et le bourreau – qui est au cœur de « Veritatis Splendor »: « Comme la croix du Christ, leur mort parle à ceux qui veulent bien entendre, éclaire ceux qui veulent bien ouvrir leurs yeux. Leur mort fait pressentir la miséricorde transcendante, l’Amour au-dessus de tout amour qui est le mystère même de Dieu révélé par le Fils. Leur mort dévoile aussi l’abîme du péché, en même temps que la grandeur, la dignité, infiniment précieuse aux yeux de Dieu, de tout être humain. Leur mort révèle la délivrance accomplie par le plus grand amour, celui de « donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 3) ».

Anita BOURDIN

Les sept visages des témoins de Tibhirine

Le P. Christian de Chergé, prieur, 59 ans, moine depuis 1969, en Algérie depuis 1971, ancien chapelain du Sacré-Cœur de Montmartre, entré à l’abbaye d’Aiguebelle avant de rejoindre Tibhirine, était un très bon connaisseur de l’islam. Il a sauvé le prieuré lors de la première irruption du GIA à Noël 1993.

Le Frère Luc Dochier, 82 ans, moine depuis 1941, le « toubib », en Algérie depuis 1947. L’abnégation le connaît. Pendant la guerre, il avait pris la place d’un père de famille nombreuse en partance pour un camp de prisonniers en Allemagne.

Le Père Christophe Lebreton, 45 ans, moine depuis 1974, était en Algérie depuis 1974 : c’était une personnalité « chaleureuse et explosive ». Il était entré à Tamié à 24 ans !

Trois moines, Michel, Bruno et Célestin, venaient de l’abbaye de Bellefontaine.

Le Frère Michel Fleury, 52 ans, ancien éducateur de rue à Nantes, moine depuis 1981, était en Algérie depuis 1985. Infirmier pendant la guerre d’Algérie, il avait sauvé un maquisard blessé que l’armée française voulait achever. Le traumatisme de la première incursion du GIA lui avait valu six pontages coronariens. Mais il était revenu.

Le Père Bruno Lemarchand, 66 ans, « posé et réfléchi », moine depuis 1981, en Algérie et au Maroc depuis 1990 : il animait l’annexe de la communauté de Fès. Il était de passage à Tibhirine pour l’élection du prieur.

Le Père Célestin Ringeard, 62 ans, ancien ouvrier fraiseur à Lyon puis à Marseille, moine à Tamié depuis 1983, en Algérie depuis 1987, était le cuisinier de la communauté. Après l’enlèvement, sa « coule » sera retrouvée sur le chemin de Médéa.

Le Frère Paul Favre-Miville, 57 ans, moine depuis 1984, en Algérie depuis 1989, Haut-Savoyard, ancien officier parachutiste, ancien plombier aux mains en or, savait tout faire avec presque rien : il avait installé un système d’irrigation.

A.B., d’après B. Chenu

  1. Bruno Chenu, « Sept vies pour Dieu et pour l’Algérie », (Bayard Editions/Centurion, octobre 1996).
  2. Préface de « Tibhirine, les veilleurs de l’Atlas », de Robert Masson (Cerf/Saint-Augustin, mai 1998).