Ces deux dernières semaines, j’ai fait un pèlerinage au Portugal et en Espagne – et en ce lieu de miracle prophétique : Fatima – sur la Via Portuguesa. Le diable aime nous jouer ses petits tours quand quelque chose de bien se prépare. Aussi, avant même que notre Camino ait débuté, la compagnie aérienne a perdu mes bagages à Rome où je couvrais le récent consistoire – avec la plus grande partie de mon équipement pour la marche et tous mes vêtements habillés. (La valise a réapparu chez moi il y a quelques jours, le soir précédant mon retour – moquerie infernale.) Une personne de notre groupe a découvert que son passeport avait expiré juste avant le départ, mais il a été renouvelé à temps, miraculeusement, grâce à l’intervention de nombreux catholiques attentifs. Mais quand on fait un pèlerinage, on s’engage à gérer tout ce qui arrive par souci du but ultime. Avec la Grâce, c’est ce que nous avons fait.
J’avais l’intention d’écrire en route, et j’ai été sensible aux messages de ceux d’entre vous qui se sont préoccupés de mon absence. Mais écrire à propos d’un pèlerinage – surtout de la part de quelqu’un dont le travail quotidien est les mots – empêche d’être dans le pèlerinage. Même encore maintenant, je n’ai pas très envie de relater cette expérience. Un jour peut-être je ferai ressusciter les notes que j’ai ici, ou je les garderai pour – hum – mes Confessions. Pour le moment, toutefois, voici quelques réflexions.
Comme je ne me lasse pas de le répéter, le grand écrivain Charles Péguy, dont l’anniversaire de la mort tombait au début de ce mois, a été inspiré par le pèlerinage à pied que des milliers de personnes font chaque année de Paris à Chartres. Il avait fait le vœu à la Vierge de faire cette marche si l’un de ses enfants guérissait d’une maladie mortelle. Péguy dit que toute la question de l’âme se révèle sur la route.
Ne pensez pas que c’est juste une déclaration de grand écrivain. C’est profondément vrai. Mais pour faire un pèlerinage, il faut un pèlerin.
Par exemple, au cours d’un pèlerinage, l’âme n’a plus le même sens du temps – C’est quelque chose que j’ai également remarqué quand je fais une retraite. La nature ne connait pas les jours de la semaine. Tous les jours « se lèvent » de la même façon – peu importe ce qui peut arriver après. Le soleil paraît. Les arbres et les plantes, les oiseaux et les autres animaux font ce qu’ils ont à faire. Lors d’un pèlerinage à pied sur de longues distances dans la campagne, cela donne à chaque jour un vrai sens d’intemporalité.
Ce qui ouvre la voie à d’autres réflexions.
Le chemin que nous suivions traversait des forêts et des villes, mais aussi des champs de blé et des vignes. Ce qui, bien sûr, rappelle au pèlerin le Pain et le Vin. Mais d’une façon beaucoup plus profonde que de celle dont j’ai toujours regardé comme une maladresse liturgique de la nouvelle messe l’expression : « fruit de la terre et du travail des hommes ». Vraiment ? C’est « la terre » qui a donné ?
Si une plante pouvait parler – l’imagination prospère au cours d’un pèlerinage – elle pourrait demander à un pèlerin : pourquoi tout ce mouvement ? Et comment faites-vous, vous qui n’avez ni feuilles ni racines – et la chlorophylle ? (Les plantes, étant très terre à terre, ne le diraient pas tout à fait de façon aussi technique.) La chlorophylle permet aux plantes d’exploiter directement l’énergie de l’étoile voisine que nous appelons soleil. Et à travers la formation du soleil, elles sont reliées aux premières énergies de la Création.
Les plantes pourraient être aussi stupéfaites que nous d’apprendre que les choses n’ont de vie que grâce à une source d’énergie – elles, directement par la lumière du soleil, nous en les mangeant, elles et les animaux qui les mangent.
C’est une bonne image du Pain et du Vin. Même avant la transsubstantiation.
Au cours d’un pèlerinage, bien sûr, il y a aussi des problèmes pratiques, providentielles et urgentes. Comme le temps. A la maison, on dit : « On dirait qu’il va pleuvoir ». et on prend peut-être un parapluie. Un pèlerin se réveille et dit : « On dirait qu’il va PLEUVOIR ! » Et il faut considérer les distances entre les abris, à quoi ressemblera la route sous les pieds, quel équipement on doit avoir à portée de main.
Sur le Chemin, il n’y a pas de sauvegarde d’urgence. Il faut juste s’être préparé. C’est seulement Dieu et le pèlerin, le Ciel et la Terre.
Tout est magnifique, bien sûr.
Dans les siècles récents, le mouvement romantique a donné à certains un sens renouvelé de la magnificence de la nature sauvage. Mais comme l’environnementalisme actuel, cela ne va pas du tout assez loin. Tous deux trébuchent souvent dans l’idée bornée que, dans la nature, l’homme est déjà divin.
La Bible raconte de nombreuses histoires de personnes – même Jésus – se retirant dans un « lieu sauvage ». Mais ils n’y restent pas car ce n’est que le point de départ. Pour être pleinement humain, nous devons aussi être en Route.
Un des noms du peuple de Dieu est l’Eglise Pélerine. Faire un pèlerinage est une réalité, pour nous tous, même ceux qui ne sortent jamais de chez eux. Le christianisme naissant était souvent appelé « la Voie » (Gk. He hodos), c.a.d. à la fois le genre de vie que les Chrétiens devaient mener et le voyage spirituel universel. (Cf. Actes IX ; 1-2, XIX ; 23)
Dans la vie spirituelle, les enseignements traditionnels montrent le chemin, comme le sentier montre comment suivre la Voie. Mais le pèlerinage actuel est quelque chose que chacun doit faire seul, même si on voyage avec d’autres. On peut s’y engager avec des intentions variées, mais – et c’est vraiment la grande affaire – Dieu insiste sur Ses propres intentions pour nous, les grandes et les petites. Même au sein d’un seul groupe, il y a de nombreuses Voies.
Quand la route est plate et le temps agréable, les histoires jaillissent (c’est ainsi qu’ont trouvé naissance les « Contes de Canterbury) – certaines juste pour rire, d’autres issues de souvenirs significatifs. Le temps passe. La distance s’accroit. La Voie, et la vie quotidienne s’écoulent, ensemble, sans à-coups.
Et puis, il y a des fortes montées – et des descentes tout aussi dures. Le groupe alternativement se scinde et se reforme. Certains se concentrent sur eux-mêmes pour continuer à avancer. D’autres font des pauses pour reprendre souffle. D’autres encore ont des ampoules, des foulures, des crampes ou pire encore, et ils doivent les endurer vaille que vaille. Et ils font des efforts physiques er spirituels qu’on n’aurait pas crus possibles à la maison, parce qu’il le faut bien. Et cela vous laisse plus forts et plus enracinés dans le pèlerinage universel.
Au commencement du Purgatorio, certaines âmes tout juste arrivées demandent leurs instructions à Dante et à Virgile. Le grand romain répond humblement :
Vous croyez
Peut-être que nous connaissons cet endroit.
Mais nous sommes pèlerins (Peregrin) juste comme vous.
Ceci est notre condition à tous.
La Foi est une sorte de connaissance de choses qu’on espère. Mais aussi qu’on trouve, sur le Chemin, et finalement, quand nous nous sommes retrouvés, à la maison.