En suivant hier les cérémonies du 11 Novembre, singulièrement celle de Notre-Dame de Lorette, je songeais à l’extraordinaire relation à la mort que suppose ce mémorial poignant qui rappelle le trépas de centaines de milliers de soldats de la Grande Guerre. Adversaires d’hier, associés aujourd’hui dans une même commémoration. On est tenté de souligner l’absurdité d’une telle hécatombe où les peuples d’Europe se seraient suicidés. C’est peut-être une tendance assez facile, car la Grande Guerre n’était pas la première des guerres, elle s’insérait dans une longue suite qui accompagne l’ensemble de l’histoire humaine. Histoire qui n’a rien d’une idylle mais qui montre que depuis l’origine la violence n’a cessé d’accompagner les rapports entre les hommes.
Et par ailleurs, comment considérer ce vaste culte de la mort, qui s’ordonne notamment dans ces immenses nécropoles que sont Notre-Dame de Lorette ou Douaumont ? Philippe Ariès m’expliquait qu’il avait préparé son grand ouvrage L’homme devant la mort grâce à une fondation américaine qui l’avait accueilli à Washington. La capitale des États-Unis a été conçue sur le plan d’une nécropole. Elle fonde l’existence de la nation américaine sur le souvenir de ses morts. Pour la France, c’est une thématique chère à Maurice Barrès, et avant lui à Auguste Comte et à la philosophie positiviste. Comte, ne croyant pas à la vie éternelle des chrétiens, magnifiait ce qu’il appelait « l’immortalité subjective », celle qu’assure le culte du souvenir avec la trace laissée par les disparus dans la mémoire humaine.
Je trouve souvent une saveur toute positiviste à nos cérémonies officielles, où se trouve absent tout rapport avec la transcendance et plus encore le sens chrétien de la mort. Dans son beau petit livre sur Assise1, François Cheng rappelle quelle conception saint François avait de « notre sœur la mort corporelle, à qui nul homme vivant ne peut échapper » et pour laquelle l’auteur du Cantique des Créatures louait son Seigneur. Mais François nous ouvre une perspective, qui n’est pas exactement celle de nos nécropoles laïques. C’est bien pourquoi Saint-Exupéry exprimait son désarroi de cérémonies, où ne s’élevait pas la douceur ineffable d’un chant grégorien.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 12 novembre 2014.
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