Sur l'Académie française - France Catholique
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100 ans. Donner des racines au futur
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Sur l’Académie française

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L’Académie est une très vieille dame, que les esprits forts ont toujours cru devoir brocarder. Certes, de très grands écrivains n’en ont pas fait partie et beaucoup de tempéraments ne supportent pas le décorum et les codes de l’illustre compagnie. J’imagine mal, par exemple, qu’un Léon Bloy y eût trouvé sa place. Les confrères n’auraient pas pu le supporter, et lui surtout les supporter. J’imagine l’effarant tableau qu’il aurait pu dessiner d’une séance du quai Conti, à l’image du tableau ébouriffant de la classe littéraire qu’on peut lire dans son prodigieux roman La femme pauvre, entre le rire pour ce qu’il a de cocasse et l’effarement pour ce qu’il a de cruel. Sans doute, l’Académie exige-t-elle une égalité d’humeur, une courtoisie auxquelles ne peuvent s’adapter les ours mal léchés, fussent-ils les plus géniaux des écrivains. Jean-Luc Marion me confiait, il y a peu, le plaisir qu’il y avait à converser avec des gens si aimables et épris d’une culture qui ne pèse pas.

Pour apprécier l’Académie, il faut avoir aussi le sens de la tradition et du temps long. C’est pourquoi l’anthropologue Claude Lévi-Strauss y était si à l’aise. Il savait que les institutions, par leur longévité, sont l’ossature même des sociétés, comme le rappelle Emmanuelle Loyer dans sa monumentale biographie (Flammarion). René Girard, qui n’était pas de la même famille intellectuelle du tout, était dans les mêmes sentiments. C’est pourquoi il se porta candidat au fauteuil du père Carré, accueilli par son ami Michel Serres. Ce fut un très bel événement. Alain Finkielkraut, pour sa part, a eu des mots très forts pour signifier quelle importance revêtait pour lui son entrée à l’Académie française. Qui a lu ses livres ne pouvait s’en étonner. Voilà très longtemps qu’il s’insurge contre le déni de notre culture fondatrice et la rupture de transmission qui s’est produite jusque dans l’école. L’Académie française est une des rares institutions à résister au cours du temps et à l’entropie culturelle qui se produit par la substitution de la communication à la transmission. C’est pourquoi, avec huit jours de retard, j’ai voulu saluer cette entrée Quai Conti, parce qu’elle est singulièrement importante en ces jours difficiles pour l’avenir de l’intelligence.

Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 3 février 2016.