J’en viens à un autre malheur infligée à notre langue : la manie actuelle de notre élite politique de s’approprier le rôle de « maître des vocables ». Le président de la République a, par exemple, décidé que le mot ‘’race’’ devait disparaître. Il est bizarre qu’il n’en ait pas profité pour jeter à la trappe d’Ubu le ‘’racisme’’ et le ‘’raciste’’.
Mais une certaine loi qui a lancé dans la rue des millions de citoyens conscients et lucides a permis l’impensable, la disparition du Code civil de ‘’père’’ et de ‘’mère’’… Fabuleux, extravagant, prodige de la sottise, nous pouvons tout imaginer, mais il n’en reste pas moins que la perversité de ces agissements linguistiques de l’État français accompagnent la descente en enfer de la culture héritée de nos ancêtres, probablement à la grande joie de M. Peillon, qui a osé écrire, me semble-t-il, qu’il fallait se séparer de tout ce qui avait été fait avant 1789…
Je n’ai pas le temps de parler d’une autre invasion anglophone, celle des publicités rédigées en anglais, certes de basse-cour, mais tout de même en anglais… sans même la traduction !
Mais, pour conclure, il me reste le principal : le destin de notre langue ne doit être laissé ni entre les mains invalides de nos gouvernants ni entre celles des actuels académiciens français, dont les derniers élus ne sont que pâles fantoches quand on se souvient de la qualité de leurs prédécesseurs… J’ai été, dans les années soixante, secrétaire de Jean Paulhan pendant 7 ans et je puis témoigner que sa présence en l’institution créée par Richelieu avait une autre allure que celle de Xavier Darcos par exemple, qui vient d’approuver la réforme des écoles juste au moment où elle se trouve décriée…
Ce destin, il est entre nos mains à plume ! Dans nos gosiers ! Dans nos cœurs ! Il se découvre dans les labyrinthes de nos neurones. Ne laissons à personne le soin d’être de vigilants gardiens du temple. Mais pour cela nous avons à être attentifs à la langue dont nous usons, et notamment nous nous devons de considérer comme un devoir de la parler sans lâcheté et sans laisser aller. De la défendre et de l’illustrer !
Souvent nous nous « adressons » aux autres en oubliant qu’il nous revient de ne pas leur faire perdre leur temps en étant incompréhensibles. L’élocution est un chapitre essentiel de la mise en œuvre de la langue : le locuteur doit respecter les quelques 26 sons du clavier français pour que son auditeur ne s’égare pas et ne prenne pas un mot pour un autre.
Être compris est en somme le premier point de la politesse que doit le parleur à celui qui le ‘’reçoit’’ : politesse qu’un ami philosophe considère comme le premier degré de l’amour. Quand on parle « on se donne », tout entier, et c’est ainsi seulement que l’on peut « s’adresser » à quelqu’un, soit « s’envoyer » vers l’autre comme on envoie un message, i.e. pour lui ‘’transmettre’’ une information, une demande, un éloge, une critique ou un aveu…
Une diction défaillante empêche la transmission, assassine la communication, rend vains les efforts les plus ardents pour se s’approcher de son prochain. Songez à tant de ceux qui prétendent, tout en étant quasi inaudibles, nous enseigner, nous faire entendre la vie du monde, nous transmettre des vérités encore mal perçues, qu’elles soient scientifiques, culturelles ou métaphysiques, qu’importe : le « dire » se travaille tout autant que le langage écrit. Je pense à des curés qui débitent à toute allure leur sermon auquel je ne comprends rien. Perte de temps pour eux comme pour moi.
Le sens que développe un texte ne se perçoit bien que si, par exemple, les intonations sonnent justes : on peut dire ‘’non’’ d’une façon grossière ou polie ou aimable ou même amoureuse… Voir le contexte… Dire à haute voix, c’est vraiment prendre possession de notre langue dans sa diversité musicale comme dans sa capacité à faire saisir les moindres inflexions et nuances de la pensée qu’elle permet d’exposer et de développer. Mais pour cela il conviendrait d’acquérir la maîtrise de l’oralité dès l’école primaire. Vœu pieu !
Les comédiens travaillent leur souffle en vue d’en disposer lors de l’émission vocale ; aussi leur débit afin de pouvoir, selon les nécessités du texte, être rapides ou lents, accélérer, freiner. Ils donnent du rythme à leurs phrases en frappant les mots avec plus ou moins de force ou de douceur ; en choisissant à tel moment une hauteur de voix juste au-dessus de sa tonalité habituelle ou juste au-dessous ; encore en variant, toujours selon la compréhension qu’ils ont du texte à dire, le volume sonore de la voix, qui peut ainsi aller du cri au murmure…
L’on conçoit mieux, énonçant ces cinq grandes variations qui permettent de mieux faire entendre ce que l’on cherche à exprimer, que se contenter de la plus basique neutralité de sa diction ne permet pas de ‘’se’’ faire bien comprendre de son ou de ses auditeurs. Combien de patrons ragent d’être mal compris de leurs collaborateurs sans même se rendre compte qu’ils n’ont pas fait ce qu’il fallait pour être bien entendu.
J’en viens, pour finir, à une pratique qui devient préoccupante : ne pas tenir compte du sens réel des mots afin d’imposer plus aisément sa vision philosophique ou pratique des réalités que nous avons à saisir. Monsieur Hollande viole notre liberté en manipulant les mots, comme s’il disposait de l’autorité nécessaire pour intervenir en leur domaine.
Il nous oblige en outre à concevoir ce qu’il nomme les « valeurs républicaines » comme transcendantes à tout autre valeur, sans jamais nous expliquer ce qu’il a choisit parmi le grand nombre d’usages possibles du mot. Le Robert en six volumes nous le présente sur plus de trois grandes colonnes… Ce qui est choquant, c’est que ces valeurs ne sont pas confrontées à ce qui peut porter le même titre chez d’autres institutions tout aussi estimable que le régime républicain. Ce qui est choquant, c’est la volonté affichée, par exemple chez Monsieur Peillon, de s’en servir comme on le ferait d’un socle absolu pour créer une nouvelle religion axée autour de la valeur dite laïcité : sans qu’auparavant ait été définie le concept propre à cette laïcité, concept qu’alors l’ensemble du peuple devrait être appelé à légitimer par référendum, non avec 50% des voix mais avec au moins les deux tiers. De plus nous avons vu maintes fois les valeurs dites républicaines justifier des prises de positions contradictoires : ce qui ne peut que se concevoir à partir du moment où rien de transcendant à ses valeurs n’est invoqué pour les soutenir, les justifier, puisque se référer à la seule ‘’République’’ c’est d’avance faire de l’institution ou du régime une idole. En vérité, il faut le dire et le crier, nous sommes assujettis à un régime pleinement idolâtre.
Un exemple actuel : il y est fortement question de l’être humain selon la vision des extrémistes qui nous gouvernent. Ils ne nous ont jamais expliqué quelle vision est la leur de cet être qu’est d’abord l’homme avant d’être un citoyen. Être citoyen est second par rapport à cette définition de l’être que j’attends de la part de ces gribouilles qui se croient autorisés par le vote à faire de nous ce qu’ils entendent.
Au nom des ‘’valeurs’’ dites républicaines, on cherche par exemple à nous imposer le « gendeure » : mais qu’est-ce que cette théorie hypothétique vient faire dans ce panthéon républicain ? La république n’est qu’un régime politique parmi d’autres, elle n’est ni une religion ni une métaphysique, pas plus une déesse, et elle doit absolument ne jamais prétendre à ces statuts. Cependant, la voici coiffée ou entichée du « gendeure » : avec cette vision anthropologique, c’est l’être humain ancestral, de création pour les chrétiens, qui cesse conceptuellement d’être celui qu’il est en tant que corps, âme et esprit indissolublement reliés : le voici retourné au temps d’avant l’âge de pierre, et considéré par nos experts en animalité que comme une simple bête qui ne se définirait que par ses attributs et ses pratiques de jouissance sexuelle. Oui, je suis littéralement écœuré par l’espèce d’obsession sexuelle qui a envahi la France de nos élus.
Il est profondément désespérant de n’avoir pour gérants de nos affaires que des gens qui ne pensent qu’à notre perte morale et, pire, anthropologique.
J’en appelle à l’avenir afin que se lèvent d’urgence de nouveaux responsables capables de rejeter toute cette boue hors de nos chemins. »
Dominique Daguet