Suicides en série (France Telecom) - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Suicides en série (France Telecom)

Faut-il en parler ? C’est la question qui tenaille à propos du suicide à France Telecom. Et la réponse ajustée n’est pas facile.
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Le 23e suicide en 18 mois d’un salarié de France Telecom, le 11 septembre, suivi de plusieurs tentatives, a rouvert le débat sur la publicité autour du suicide. L’ancienne administration est devenue une entreprise concurrentielle. Ses employés sont déstabilisés par le brutal changement. Quelques-uns des plus fragiles, ceux qui ont le moins de support amical ou familial, ont pu sombrer. Plus qu’un « management par la terreur » que les syndicats stigmatisent, les spécialistes dénoncent le sentiment d’impuissance de salariés ballottés par des mutations techniques ou géographiques qui les dépassent. La taille d’une en­treprise où les parcours individuels sont anonymes est également en cause.

Il a fallu du temps pour qu’on prenne le phénomène au sérieux. C’est désormais fait. Didier Lombard, président de France Télécom, après avoir été reçu par le ministre du Travail, Xavier Darcos, a annoncé l’arrêt du processus de réorganisation. Groupes de parole, numéro vert débouchant sur des psychologues extérieurs à l’entreprise… tout est mis en œuvre, explique-t-on, pour « libérer du stress » les 90 000 collaborateurs et enrayer la « spirale infernale ». Car si le stress est un facteur de suicide, chaque suicide augmente à son tour la pression du stress.

Cette spirale, Didier Lom­bard l’avait maladroitement nommée « mode » avant de s’en excuser. Mais les spécialistes de la prévention du suicide reconnaissent bien qu’il existe, dans ce domaine, un « effet de contagion », pas seulement chez les adolescents : le passage à l’acte d’une personne peut déclencher celui d’une autre, qui ruminait le même projet. Le « mauvais exemple » peut faire tomber les dernières défenses.

Force est donc de constater que le retentissement médiatique de la vague de suicide dans la grande entreprise a pu l’entretenir. D’autant qu’en attribuant un caractère « sacrificiel » à ces actes, en laissant entendre qu’ils auraient une « utilité sociale », comme celle de stopper une restructuration, on a pu inciter d’autres désespérés à passer à l’acte.
Faudrait-il alors instaurer la loi du silence, si tentante quand les sujets sont âpres, intimes et douloureux ? C’est impossible : l’acte suicidaire est trop violent. Il est signe et source de tant de souffrance qu’il provoque une déflagration qui ne laisse personne indifférent… Suicides en série dans nos prisons, suicides d’agriculteurs solitaires, suicides collectifs d’adolescents, suicides inattendus d’hommes dans la pleine force de l’âge : aucune tranche d’âge n’est épargnée, même si ce sont les personnes âgées qui détiennent aujourd’hui le triste record.

Certains proches se pro­tègent mal de l’indicible détresse par le mutisme. Mais c’est la parole qui permet le mieux de s’en libérer.
De même, vis-à-vis des personnes qui expriment une idée ou une intention suicidaire, il est recommandé de ne pas fuir ces propos – malgré la violence qu’ils génèrent. Au contraire, il faut les entendre avec attention et les reformuler. C’est un premier pas pour aider la personne à sortir de son isolement. Il ne s’agit pas, bien sûr, de cautionner en quoi que ce soit un geste qui ne réglerait rien et ferait des dégâts terribles.

Et justement, lorsqu’un de ces drames éclate, un point essentiel à ne pas passer sous silence est le mal qu’est le suicide. Trop souvent, pour ne pas peiner, on idéalise à bon compte une « ultime liberté ». En réalité, c’est ignorer la détresse et la solitude d’une personne. C’est occulter que son attachement profond à la vie – un attachement naturel – a été étouffé.
Les proches endeuillés ont eux-mêmes besoin d’être reconnus comme victimes d’une injustice. Certains imaginent qu’ils doivent « accepter » le geste fatal commis par celui qu’ils aiment. Ce serait une façon de le respecter… Au risque de vouloir le « rejoindre ». Au contraire, il est essentiel que ces proches puissent récuser le suicide. Et, finalement, le pardonner à son auteur. Mais ce n’est possible que si l’on distingue absolument la personne de son acte. Personne ne peut être identifié à pareille mort. Elle restera injustifiable, bien qu’on puisse en comprendre les raisons. La personne d’un côté, le mal de l’autre, c’est toute l’économie de la Miséricorde !

Tugdual DERVILLE