Sans pleurer, le jeune homme n’en est pas moins très émotif, fébrile même. Je ne connais pas l’âge de David (nom fictif), mais je sais qu’il est au Canada depuis un peu plus d’une dizaine d’années. Jeune étudiant parlant le français avec un accent sri lankais mélangé à des expressions très québécoises, il s’inquiète. La région dont il est originaire est à feu et à sang, depuis la fin du cessez-le-feu, en 2006, entre les Tigres de libération de l’Eelam Tamouls (TLET), et le gouvernement sri lankais. Depuis quelques mois, le gouvernement a intensifié sa lutte : il veut en finir avec l’organisation qu’il considère comme terroriste. Une organisation prête à tout pour établir l’indépendance de la région du nord et de l’est du Sri Lanka, à majorité tamoule. Par contre, ses chances de gagner cette bataille sont mises en morceaux par les forces gouvernementales qui n’hésitent plus à bombarder largement des zones où se trouve pourtant une majorité de civils.
Pour David, l’espoir s’amenuise. En effet, au moment de l’entrevue à la mi-mars 2009, cela faisait quatre semaines qu’il n’avait pu parler à sa famille habitant le nord du Sri Lanka. Les seules informations, qui confirment que les membres de sa famille sont toujours en vie, sont venues d’un ami prêtre qui les a aperçus « il y a une semaine ». Sa mère serait malade. Comme tout le monde, ils doivent se déplacer et rejoindre des camps qui, selon les informations de David, ne sont pas sûrs. « Mon cousin est prêtre. Il a voulu se rendre dans les camps mais on l’en a empêché ». Il voulait aller y réconforter les personnes présentes et aussi célébrer la messe avec les catholiques qu’il pourrait y trouver. Fait troublant rapporté par David : des cas de viols auraient été signalés et des jeunes garçons disparaîtraient sans qu’on ne sache trop où ils sont emmenés.
Dans son bulletin du 24 mars, l’Agence d’information de l’ONU estime que, selon les statistiques officielles, « depuis le 15 mars, plus de 7 000 civils tamouls sont passés dans les zones sous autorité gouvernementale, portant à près de 50 000 le nombre de personnes hébergées, depuis décembre, dans les camps de transit et les centres sociaux des régions de Mannar, Jaffna et Vavuniya, dans le nord. »
Comprendre l’escalade
Pour David, une chose est sûre : présentement, « aucun tamoul dans le pays ne se sent en sécurité, même dans la capitale », Colombo, qui se trouve pourtant bien loin des zones de combats. Pourquoi? Un peu d’histoire aide à comprendre la situation actuelle.
L’île aurait été colonisée il y a 2 500 ans. Le bouddhisme y aurait été introduit au 3e siècle avant Jésus-Christ par le prince indien Mahinda. C’est ainsi que l’île devient dès lors un bastion du bouddhisme. Les Tamouls viennent ensuite du sud l’Inde, de la région du Tamil Nadu (région qui existe toujours), d’où ils apportent leur propre tradition religieuse, l’hindouisme.
Puis le commerce amènera des musulmans à partir du 8e siècle jusqu’au 13e siècle. Certains vont même marier des femmes tamoules. Il semble qu’il y ait eu une paix relative entre tous ces peuples jusqu’à l’arrivée des chrétiens : d’abord portugais en 1505, puis hollandais en 1568. Un prosélytisme agressif auprès de la population et une incompréhension des rapports entre Cinghalais majoritaires et Tamouls minoritaires auraient compliqué la situation. Celle-ci s’aggrave avec les Britanniques (1796 à 1948), dans la mesure où les Tamouls sont privilégiés par rapport à la majorité cinghalaise. De plus, l’éducation est enlevée aux moines bouddhistes, traditionnellement responsables de ce volet, pour être gérée par l’État et l’Église anglicane.
Ces multiples raisons peuvent peut-être expliquer pourquoi, en 1953, seulement cinq ans après l’indépendance, D.C. Vijayawardhana écrit dans « The Revolt in the Temple » : L’histoire du Sri Lanka est l’histoire de la race cinghalaise: le peuple cinghalais était chargé, il y a 2500 ans, d’une grande et noble mission: la préservation du bouddhisme. […] Ainsi, la naissance de la race cinghalaise n’apparaîtrait pas comme un fruit du hasard, mais comme un événement prédestiné, d’une grande importance et aux ambitions élevées. Dès le début, la nation semblait désignée, en quelque sorte, pour porter haut, durant cinquante siècles, la lumière qui fut allumée par le grand penseur mondial (Bouddha) il y a 25 siècles. « Un texte interprété comme un fait historique par la majorité cinghalaise, ensuite utilisé par les dirigeants bouddhistes », peut-on lire sur le site web de Jacques Leclerc de l’Université Laval à Québec, membre associé au TLFQ (trésor de la langue française au Québec).
Après l’indépendance, les Tamouls verront leur droits linguistique et culturel se réduire année après année, d’où cette entrée en rébellion des TLET, qui utiliseront les armes pour revendiquer un état indépendant pour les Tamouls. Depuis, plus de 70 000 personnes auraient trouvé la mort, civils, rebelles et soldats confondus. Aujourd’hui, la manière, dont le gouvernement de Colombo gère la crise auprès de la population tamoule, pose question. Peut-on parler de génocide? Nous essaierons d’éclaircir cette question dans un prochain article.
En 2008, l’AED a fait parvenir plus de 520 000 dollars canadiens au Sri Lanka afin d’y soutenir des projets à caractère pastoraux ainsi qu’une aide humanitaire d’urgence en décembre dernier.
Pour aller plus loin :
- Sri Lanka (2)
- Sri Lanka : « arrêtez les bombes »
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Sri Lanka : « Plus personne, plus de paroisse, plus de prêtre et plus d’église »