Montréal – 31-03-09
Sri Lanka : le dialogue est la seule solution
(Suite et fin du texte: « Sri Lanka : génocide? »
Au Sri Lanka, des civils subiraient des violences importantes de la part des autorités gouvernementales, prêtes à tout afin d’en finir avec les rebelles des Tigres de libération de l’Éelam tamoul (TLET). De leur côté, les Tigres utiliseraient des civils comme boucliers humains et les empêcherait même de sortir des zones de combat. D’un côté comme de l’autre, ce sont donc les civils qui écopent du refus de dialoguer qui, selon plusieurs organisations, est la seule solution. Par ailleurs, les camps de réfugiés, mis en place pour accueillir les civils, ne seraient pas sécuritaires et même, seraient gérés comme des camps de concentration. D’aucuns parlent même d’un début de génocide.
Par Mario Bard, Aide à l’Église en Détresse
« En 1981, le gouvernement a fait brûler la bibliothèque nationale tamoule », indique en entrevue à l’Aide à l’Église en Détresse, David (nom fictif), jeune étudiant sri lankais débarqué au Canada il y a plus de dix ans. Une tragédie considérée par le peuple tamoul comme un acte de « vandalisme culturel », provoquant la destruction de 97 000 livres et documents. Cette bibliothèque était considérée comme la plus importante collection de littérature tamoule en Asie. La bibliothèque a été incendiée par les policiers sri lankais. Ainsi l’histoire récente de son pays et la façon dont le gouvernement gère la crise actuelle, dans sa guerre sans pitié contre les TLET, font dire à David que nous assistons présentement dans le nord et l’est du Sri Lanka à un « génocide ».
Pour sa part, l’évêque catholique de Jaffna, Mgr Thomas Savundaranayagam, n’hésite pas à parler « d’extermination » d’au moins cent mille personnes, si rien n’est fait pour évacuer les civils pris en otage dans une zone dite de « sécurité » (20 mars 2009). Dans une lettre envoyée au président du pays, Mahinda Rajapaksa, (dont l’AED a obtenu copie), Mgr Savundaranayagam écrit que l’armée du Sri Lanka et le TLET sont prêts à « engager la bataille finale » et que les civils, se trouvant dans la zone franche, risquent d’« être totalement anéantis ». « Vu le caractère extrêmement dangereux de la situation, nous demandons une action rapide et sérieuse pour faire face aux nécessités fondamentales pouvant garantir la sécurité des civils », insiste ce dernier.
Génocide?
Déjà avant l’intensification de la présente offensive gouvernementale, la population en territoire tamoule souffrait. Selon ce que rapporte le site web TamilNet, un directeur d’ONG australienne tirait la sonnette d’alarme, en septembre 2008. « “L’extrême situation humanitaire des personnes déplacées, dont des milliers d’enfants qui sont déjà sous-alimentés, risque de se détériorer de manière spectaculaire, l’eau potable n’étant pas disponible pour toutes les personnes déplacées qui sont privées de soins médicaux par le gouvernement du Sri Lanka”, a déclaré Paul O ‘Callaghan, directeur exécutif du conseil australien pour le développement international (ACFID), organisme regroupant 25 organisations membres qui travaillent au Sri Lanka depuis de nombreuses décennies. » (14 septembre 2008). Toujours à la même période, les Nations-Unies estimaient que 40% de tous les enfants dans le nord, région à majorité tamoule, étaient sous-alimentés, n’ayant accès à aucune ressource en nourriture.
Si l’accumulation des faits est troublante et remet en cause le bon vouloir officiel du gouvernement de Colombo (qui déclare tout faire pour protéger les civils tamouls), pourtant certains membres d’organisations non gouvernementales hésitent encore à parler de génocide. Sous le couvert de l’anonymat, l’un d’eux indique : « Je ne sais si on peut parler de génocide – le mot est peut-être un peu trop fort – mais en tout cas le gouvernement veut arriver à vaincre les Tigres Tamouls. Malheureusement, la population est au centre des combats et c’est elle qui souffre le plus. Il est certainement vrai qu’actuellement les populations souffrent beaucoup dans le nord, région tamoule par excellence. Le gouvernement ne semble pas vouloir de cessez-le-feu mais, au contraire, forcer les Tigres à se rendre. »
L’Église catholique et la crise
Dans cette crise, la présence et l’action de l’Église catholique, notamment par ses prêtres et personnes consacrées, sont capitales. Ainsi, Mgr Savundaranayagam s’est rendu en secret en décembre dernier dans la zone de combat, interdite d’accès, pour porter l’aide d’urgence envoyée par l’AED. Puis il a fait une grève de la faim en janvier pour protester et demander un cessez-le-feu immédiat entre les parties. Il était même soutenu par quelques leaders hindous. Peine perdue, puisque les bombardements se sont accentués et ont même touché des hôpitaux et des églises, là où nombre de gens s’étaient réfugiés. « À 20 000 pieds d’altitude, il est difficile de faire la distinction entre des civils et des Tigres tamouls », indiquait alors l’évêque de Jaffna, pour qui une « solution militaire ne pourra jamais apporter une solution durable au présent problème. » Par ailleurs, l’Église catholique du Sri Lanka est composée de Tamouls et de Cinghalais, ce qui, aux yeux de plusieurs, lui donne une position parfaite pour être médiatrice entre les parties. Enfin, une vingtaine de prêtres, de religieuses et de religieux ont signé en janvier une lettre destinée au Secrétaire général de l’ONU où ils lancent un « cri d’agonie » pour la population de Vanni, l’une des régions les plus durement touchées.
David retrouvera-t-il sa famille en vie? Au moment d’écrire ces lignes, il n’avait toujours pas reçu de nouvelles. Chrétien, il demande à ses frères et sœurs du monde de prier pour la paix et insiste aussi sur le dialogue qui devrait s’ouvrir entre les parties, et que la communauté internationale devrait initier. Il s’inquiète aussi de la présente impasse qui semble totale entre les parties. « Je n’ai rien vu de neutre depuis des semaines. Il y a deux sites web officiels des deux cotés », indique-t-il. « Excepté le fait que les civils sont tués, ils ne s’entendent sur rien. »
Même si les Tigres sont vaincus par le gouvernement, est-ce que cela rétablira l’harmonie entre les Cinghalais et les Tamouls? Rien n’est moins sûr. Est-ce que la majorité cinghalaise cèdera à la tentation de domination ethnique? Si rien n’est fait pour aider à régler ce conflit, peut-être. Espérons dire faux et par la prière pour la paix, faire mentir les pires pronostics.
En 2008, l’AED a fait parvenir plus de 520 000 dollars canadiens au Sri Lanka afin d’y soutenir des projets à caractère pastoraux ainsi qu’une aide humanitaire d’urgence en décembre 2009. Le jeune David sera l’invité de l’émission radiophonique « Vues d’ailleurs », le lundi 6 avril prochain, à 12 h 30, sur les ondes de Radio Ville-Marie (www.radiovm.com).