Souvenons-nous de Soljenitsyne, et apprenons de lui - France Catholique
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Souvenons-nous de Soljenitsyne, et apprenons de lui

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C’est aujourd’hui le centième anniversaire de la naissance d’Alexandre Soljenitsyne, l’auteur russe qui, bien que devant être rangé parmi les écrivains les plus importants du siècle passé, n’est plus très connu et est moins bien compris par les chrétiens des Etats-Unis.

La mère de Soljenitsyne est devenue veuve avant qu’il ne naisse et les bolcheviks ont confisqué les terres de sa famille. Elle est partie à Rostov pour chercher du travail, mais la plus grande partie de l’enfance de Soljenitsyne s’est passée à partager sa pauvreté. Néanmoins, être né en Russie en 1918 signifiait qu’on appartenait à la première génération de la glorieuse révolution communiste, et les nouvelles écoles marxistes ont enseigné au jeune Soljenitsyne que les principes du communisme conduiraient bientôt à l’établissement d’une ère de l’histoire humaine totalement nouvelle et libérée du mal.

Quand la Deuxième Guerre Mondiale a éclaté, Soljenitsyne a quitté l’université de Rostov pour servir comme officier dans l’armée russe. Il fut soudain arrêté en 1945 pour des commentaires faits dans une lettre privée à un ami qui furent considérés comme critiques envers Staline. Il fut condamné à huit ans dans les camps soviétiques ; de là il fut relégué en exil perpétuel dans le Kazakhstan. Il a alors commencé à écrire, puisant spécialement dans les douze mille lignes de poésie qu’il avait secrètement composées et mémorisées dans les camps.

En 1962, Soljenitsyne était autorisé à retourner en Russie, mais il n’a pas pris la peine de publier ni même de soumettre ses manuscrits à des éditeurs. Des signes de détente culturelle ont commencé à apparaître sous Khrouchtchev. Soljenitsyne prit le risque d’envoyer – anonymement – une longue nouvelle relatant un unique jour dans la vie d’un prisonnier de camp à un journal littéraire intitulé « Novy Mir ». Le rédacteur en chef du journal reconnut immédiatement la valeur de l’histoire et l’apporta à Khrouchtchev lui-même qui donna la permission de publication pour « Une journée d’Ivan Denissovitch ».

L’accueil fut stupéfiant. Un témoin oculaire raconte : « marcher à travers Moscou à ce moment-là était génial, il y avait des foules de gens à chaque kiosque à journaux, tous demandant le même journal épuisé. Je n’oublierai jamais un homme incapable de se souvenir du nom du journal et qui réclamait ‘ celui, vous savez, celui où toute la vérité est imprimée ‘. Et la vendeuse a compris ce qu’il voulait dire ».

L’identité de l’auteur a été bientôt connue, et des centaines de lettres ont afflué chez lui, en provenance d’anciens prisonniers de camps qui, comme Soljenitsyne, avaient vaincu les obstacles et survécu. Soljenitsyne a rapidement conçu l’idée d’utiliser leurs histoires et leurs souvenirs pour écrire un ouvrage plus exhaustif sur les camps. Cependant, le « redoux culturel » a rapidement tourné en « refroidissement », et la police secrète soviétique a commencé à harceler Soljenitsyne sans cesse.

Il s’est néanmoins senti le devoir d’écrire ce qui s’intitulerait un jour « L’archipel du Goulag ». Soljenitsyne a dû travailler en secret et faire passer des morceaux de cet énorme manuscrit d’un secrétaire clandestin à un autre en vue de le préserver. Il fut finalement passé clandestinement hors du pays et publié en France. De là il fut rapidement traduit dans de nombreuses langues et le monde entier apprit la vérité sur l’énormité des crimes soviétiques.

Il est facile de voir Soljenitsyne comme étant simplement l’auteur d’un percutant exposé politique en deux parties. Cependant une telle vision occulterait la véritable puissance et la véritable signification de ses écrits, car il ne nous dit pas seulement combien terrible était le système des camps soviétiques mais il explique pourquoi c’était une terrible faute.

Durant le temps qu’il a passé dans l’archipel, Soljenitsyne a lentement mais énergiquement rejeté le marxisme de sa jeunesse et embrassé la foi chrétienne. Cependant cette conversion ne fut pas achevée sans un grand apport de souffrance personnelle et un apport plus grand encore de réflexion personnelle.

Le marxisme proclame que certains groupes et classes d’êtres humains sont bons et d’autres mauvais, donc, pour se perfectionner, l’humanité doit isoler et éliminer les gens mauvais. Soljenitsyne en est venu à prendre conscience que la ligne de partage entre le bien et le mal se trouve au centre de chaque cœur humain sans exception.

La position marxiste soutient donc que l’humanité s’améliorera par le progrès inévitable de l’histoire du monde. Cependant, si la ligne de partage se trouve au centre de tous les cœurs humains, dans cette vie, seule une amélioration limitée est possible, et une dépravation est tout aussi possible. La position marxiste doit être rejetée, semble-t-il, parce qu’elle ignore la réalité du Péché Originel.

En outre, la conscience chrétienne force les humains à tenter de justifier leurs actes et à se tracasser ou même se consumer s’ils ne peuvent pas trouver une telle justification. Les marxistes, cependant, ne fournissent pas une conscience à leurs adhérents mais une idéologie qui justifie des actions mauvaises au nom d’une finalité inatteignable. Une telle justification idéologique pousse les marxistes au-delà du seuil normal des mauvaises actions et fait que l’annihilation de millions de personnes apparaît non plus abominable et impensable mais nécessaire et acceptable.

Non seulement le marxisme méconnaît l’origine du mal mais il méconnaît également ce qui sera fait et ce qui en résultera – la souffrance. Soljenitsyne en est venu à prendre conscience que, alors qu’il n’y avait pas de corrélation entre ce pour quoi lui et les autres prisonniers politiques avaient été condamnés et ce qu’on leur faisait endurer, les chrétiens présents dans l’archipel – du moins les meilleurs d’entre eux – avaient appris à rendre leur souffrance rédemptrice. C’est à dire qu’ils avaient réussi à transformer leur souffrance en une pénitence continuelle découlant d’une confession continuelle.

De là, ils pouvaient se tourner vers une ascension spirituelle à travers ce que Soljenitsyne a souvent appelé « auto-limitation ». Dans ses dernières années, il avertissait l’Occident – dans sa conférence à Harvard et son discours de réception du Prix Nobel – que le « monde libre » était en train d’embrasser de son propre gré un esclavage matérialiste. Ce processus est bien plus développé maintenant qu’il ne l’était durant la vie de Soljenitsyne.

Une telle auto-limitation commence à ressembler beaucoup à celle du Christ, qui n’a pas tenté de saisir l’égalité avec l’infini mais s’est limité de son plein gré en devenant un homme, en acceptant la forme et la souffrance humaine et en offrant pas là la miséricorde divine.

Il y a là toute désignée une leçon pour nous – parce que Soljenitsyne nous a révélé de profondes vérités qui devraient gouverner tout régime politique, toute vie humaine.

Douglas Kries est professeur de philospophie à l’université Gonzaga de Spokane (état de Washington).

Illustration : Alexandre Soljenitsyne

Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/12/11/remembering-and-still-learning-from-solzhenitsyn/