Souffrance ou euthanasie : un choix truqué - France Catholique
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Souffrance ou euthanasie : un choix truqué

Souffrance ou euthanasie : un choix truqué

La bataille contre le suicide assisté et l’euthanasie se situe aussi au plan des mots et des idées. Petite remise en ordre avec Henri de Soos, auteur de L’impasse de l’euthanasie.
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L’euthanasie, une réponse à la souffrance ? Il n’y a donc pas d’autre choix entre la souffrance et l’euthanasie ?

Henri de Soos : C’est un choix truqué. Il est faux d’affirmer que laisser la mort venir naturellement suppose d’endurer de nombreuses souffrances. Une grande quantité de personnes meurent paisiblement et bien entourées. L’euthanasie constitue en réalité une mauvaise réponse à une bonne question. La question, c’est de reconnaître que les situations où « l’on meurt mal » restent trop nombreuses, et que ce n’est pas acceptable. La réponse ajustée, conforme à l’éthique française, tient dans cette formule : ni acharnement thérapeutique, ni euthanasie, mais des soins palliatifs accessibles à tous, permettant un accompagnement médical et humain de qualité.

L’euthanasie peut-elle être considérée comme un soin palliatif ?

Là également, il s’agit d’un piège dialectique. On veut faire croire que les deux approches sont conciliables et complémentaires, comme si l’euthanasie pouvait devenir « le soin palliatif ultime ». Ces deux protocoles médicaux sont en réalité incompatibles, ils poursuivent des buts opposés : l’euthanasie vise à mettre fin à une vie immédiatement ; les soins palliatifs ont pour but d’accompagner le mieux possible le patient jusqu’au terme de sa vie, c’est-à-dire durant un temps que l’on ne connaît pas d’avance. Claire Fourcade, la présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), l’exprime très bien : « Faire mourir ne peut pas être un soin. Je suis médecin, la mort n’est pas mon métier. […] Donner la mort n’est pas un soin. »

L’euthanasie peut-elle s’apparenter à une mort douce, comme son étymologie l’indique… ?

C’est tout le contraire ! L’acte euthanasique est en réalité d’une grande violence, mais qui reste en général inexprimée. Les personnes concernées ressentent souvent une angoisse, bien légitime, devant l’acte fatal à accomplir. Juste avant son euthanasie en Belgique, Anne Bert confiait : « Je n’y vais pas la fleur au fusil. C’est quelque chose de difficile, de très compliqué. »

Pour les soignants, la violence du geste est proportionnelle à la transgression ressentie de leur serment d’Hippocrate. Un promoteur de l’euthanasie aux Pays-Bas avouait récemment : « Un médecin qui veut bien aider ressent souvent une énorme charge mentale et émotionnelle. Ce n’est quand même pas une partie de plaisir d’avoir la mort de quelqu’un sur sa conscience, même si cette personne l’a demandée. » Enfin, la violence subie par les proches se révèle souvent considérable. Par exemple, ce témoignage canadien pour décrire le moment traumatisant des injections : « C’est comme un coup de fusil. Il était là, souriant, il parlait, et puis soudain c’était terminé. »

Est-ce l’ultime liberté ?

Au niveau philosophique, le débat risque d’être sans fin. Peut-on vraiment prendre une décision libre si l’on est envahi par « des souffrances insupportables et inapaisables » ? Est-il vraiment libre, celui qui veut anéantir sa liberté ? La liberté peut-elle consister à choisir de ne plus jamais pouvoir choisir ?

Mais surtout, de multiples témoignages prouvent que cette liberté est largement illusoire. Quiconque a vécu le drame du suicide d’un proche sait bien que sa liberté de choix était comme « blessée ». Loin d’être libre, la personne suicidaire reste en réalité prisonnière d’une forme de désespoir intérieur. La plupart du temps, elle ne veut pas mourir à la vie, mais mourir à ce qui l’empêche de vivre pleinement. C’est ce qu’expriment de multiples soignants, comme aussi de nombreux rescapés du suicide.

Lorsque je souffre au point d’être très dégradé physiquement, ai-je perdu ma dignité ?

Jusqu’à présent, la dignité était considérée comme absolue, inaliénable : toute personne reste respectable quelle que soit sa situation, le nouveau-né comme le vieillard grabataire. Mais les partisans de l’euthanasie ont inventé une conception subjective de la dignité : on peut la perdre un peu, beaucoup, voire tout à fait, selon le jugement que vous portez sur la personne, ou qu’elle porte sur elle-même. Pour eux, « mourir dans la dignité », c’est mettre fin à une vie qu’ils estiment indigne.

Cette vision relativiste de la dignité demeure fortement contestable. Au niveau juridique, l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 est très clair : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. » Dans la réalité, nul ne vit sur une île déserte : penser que l’on reste digne tant que l’on ne dépend pas des autres ne relève-t-il pas d’une illusion dramatique ?

Les opposants à l’euthanasie sont-ils les obscurantistes religieux que l’on aime à présenter ?

Les personnes qui s’opposent à l’euthanasie ne s’appuient pas forcément sur des convictions religieuses. À côté des arguments tirés de la foi en Dieu, il en existe de nombreux tirés de la raison, du bon sens, de l’expérience humaine tout simplement. Dans un tweet récent, un infirmier témoignait : « Agnostique, je suis absolument opposé à l’euthanasie ; c’est d’un mépris d’imaginer que seuls les croyants ont une éthique du soin ! »

L’interdit de tuer constitue un des fondements essentiels que les hommes se sont donnés, dans toutes les civilisations, pour pouvoir vivre ensemble paisiblement. Supprimer cette digue protectrice conduira inévitablement, même si cela prend des décennies, vers une société plus hyper-individualiste que jamais, où la fraternité envers les plus fragiles n’aura plus sa place.

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impasse_euthanasie.jpgL’impasse de l’euthanasie, Henri de Soos, éd. Salvator, janvier 2022, 228 pages, 20 €.