«La chouette de Minerve ne prend son envol qu’à la tombée de la nuit », affirmait un philosophe. Ce qui peut signifier que la nuit est un moment privilégié pour contempler l’apparition de la sagesse, en ce moment, décalé, où les affaires du monde s’arrêtent ; et où une autre façon de voir les choses devient possible.
Dans la Semaine sainte que nous venons de vivre, c’est également la nuit que se déroulent deux moments-clés de la Rédemption : l’un, dramatique, avec l’arrestation au jardin de Gethsémani, l’autre, empli de joie surnaturelle, qui célèbre la Résurrection dans la nuit de Pâques.
Et dans les deux cas, Jésus lui-même puis la Tradition de l’Église recommandent aux chrétiens d’être des veilleurs. De veiller d’abord « pour ne pas entrer en tentation » (Mt, 26, 41), car « la chair est faible » ; mais également pour percevoir la lumière de la Résurrection, au cours de cette nuit mémorable qu’est la Vigile pascale.
À Gethsémani, le Christ a aussi une autre parole, qui semble un reproche attristé visant à sortir ses disciples de leur torpeur – « Vous n’avez donc pu veiller une heure avec moi ! » (Mt 26, 40) –, quand lui-même porte le poids des péchés du monde. Notamment ceux, dira-t-il ensuite à sainte Marguerite-Marie, qui lui sont les plus proches : les cœurs qui lui sont consacrés.
Après plus d’un an de crise sanitaire, on peut aussi se poser la question pour notre temps : ne sommes-nous pas gagnés par le sommeil, comme bâillonnés et privés de vitalité, pour que les directives gouvernementales n’aient pas même fait l’objet de discussions sur leur aménagement, comme à Noël où la messe de minuit avait été possible par dérogation ?
Réentendre le chant de l’Exultet
Contraintes qui empêcheront la liturgie de cette nuit sainte, encore plus centrale que celle de Noël, de se déployer dans toute son amplitude, et de nous faire entrer pleinement et charnellement dans la joie de la Résurrection, à ce moment précis de la célébration où la lumière se fait progressivement dans la pénombre, avant que retentisse le chant de l’Exultet, venu du fond des âges : « Ô nuit qui nous rend la lumière, Ô nuit qui vit dans sa gloire le Christ Seigneur ! »
Allons plus loin. N’avons-nous pas des « âmes (trop) habituées », comme le déplorait Péguy, à ce mystère de la Résurrection, au point de ne plus en faire le trésor et la prunelle de notre foi, alors même que la crise sanitaire nous a déjà privés de Semaine sainte l’an dernier ? Serions-nous victimes de cette « usure de l’âme », de cette lassitude dont parle un psychologue, usés par cette crise qui s’éternise ?
Nous pourrions alors nous souvenir que les apôtres eux-mêmes, qui s’étaient endormis à Gethsémani, ont ensuite essaimé dans le monde entier, sans plus de peurs ni de pusillanimité. Voilà un effet tangible, concret, de la Résurrection, de la victoire de la vie sur la mort que nous fêtons à Pâques. Fête qui n’est pas uniquement la commémoration d’un événement vieux de 2000 ans, car, comme le disait Pascal, « le Christ est en agonie jusqu’à la fin des temps ». Et le philosophe d’ajouter : « Il ne faut pas dormir pendant ce temps-là ! »