Hier soir, j’étais au collège des Bernardins pour entendre Philippe Sollers développer magnifiquement son thème de la révolution catholique. Ce terme, l’écrivain le préfère infiniment à celui de Contre-Réforme. Il renvoie selon lui à une expansion sans précédent d’un art qui célèbre la beauté. Cette beauté était vu du côté de l’exaltation de la Gloire. Mais quel contraste avec l’actualité ! Philippe Sollers ne put s’empêcher, en prologue de sa conférence, d’évoquer la tragédie d’Haïti, mais en insistant sur la foi de son peuple. Il rappela les Eglises détruites, singulièrement la cathédrale de Port au Prince avec son archevêque enseveli sous les décombres.
C’est vrai que cette foi est impressionnante et qu’elle interpelle étrangement une Europe qui, au XVIIIe siècle, a récusé l’idée de Providence divine, ne serait-ce qu’avec Voltaire, reprochant à Leibniz son optimisme absolu, alors que le désastre du tremblement de terre de Lisbonne, avait terrifié tous les contemporains.
Ce paradoxe, et même cette troublante et révoltante contradiction entre la gloire promise et la tragédie d’un peuple, est-il possible de les dénouer ? En dépit de tout, peut-être que oui. D’ailleurs la mobilisation humanitaire qui se développe autour de ce peuple martyrisé ne plaide t-elle pas en faveur de ce qu’il y a de meilleur dans l’humanité : la solidarité, la compassion, et aussi la fraternité ? Un message humaniste tragique, celui qui est propre à Albert Camus et ressortait de son roman-parabole intitulé La peste. Mais les Haïtiens vont très au-delà de cette fraternité humaine. Tout montre que le malheur n’a pas aboli pour eux le pacte de leur baptême, leur fidélité inébranlable à l’alliance avec le Tout Puissant et le Tout Miséricordieux. A les voir rassemblés pour célébrer la messe autour des ruines de leur cathédrale et de leurs Églises, on est conduit à penser que le scepticisme européen et rationaliste n’est pas universel. Un petit peuple écrasé par la nature peut invoquer la grâce d’en haut pour racheter le présent et s’ouvrir à l’espérance.
Samedi par exemple, à la messe célébrée à Notre-Dame de Paris par le cardinal André Vingt-Trois, au milieu des Haïtiens de Paris, certains ont trouvé étrange que l’Évangile proposé par la liturgie du jour soit celui de Cana. Un évangile qui ne parle que de noces, de vin nouveau et de la gloire de Jésus qui fut révélée pour la première fois. N’était-ce pas absurde de célébrer Cana alors qu’il s’agissait de prier pour les morts ensevelis sous les gravats et pour les vivants hagards au milieu des ruines ? Sans doute oui, à première vue. Mais ce scandale, cette opposition des contraires, n’est-il pas la substance même du christianisme ? Un grand théologien contemporain a pu donner pour titre à une de ses œuvres majeures La Gloire et la Croix. Avec le Christ, la Gloire jaillit de la Croix. Et finalement la mort sera détruite par la Gloire. Ainsi retrouvons nous Sollers et son hymne à la Gloire catholique, ainsi que son salut à Haïti. Le pacte avec la nature a été brisé dans la mer des Caraïbes, mais un peuple entier revendique son alliance avec le ciel, dans un mouvement d’espérance indéracinable.